Analyse, Afrique

ANALYSE - RDC: Élections et lutte pour le pouvoir

- L’envoi par les États-Unis de troupes en RDC, sous prétexte d’élections, ainsi que la coopération de la France avec l’Eglise catholique, ouvre le pays à toute intervention extérieure.

Tuğrul Oğuzhan Yılmaz  | 24.01.2019 - Mıse À Jour : 24.01.2019
ANALYSE - RDC: Élections et lutte pour le pouvoir

Istanbul
AA - Istanbul - Tugrul Oguzhan Yılmaz

La République Démocratique du Congo (RDC) a lourdement payé afin de pouvoir effacer les traces de colonialisme auxquelles elle avait été exposée pendant de nombreuses années.

Patrice Lumumba, dirigeant de la lutte indépendantiste du pays et ancien premier ministre, s'est présenté comme une figure politique importante dans la lutte contre le colonialisme.

Le socialisme de Lumumba dérangeait les États-Unis qui, dans un contexte de guerre froide, ne voulaient pas que l’influence de l'URSS et de la Chine se répandent en Afrique subsaharienne à travers le socialisme.

La lutte démocratique de Lumumba, qui se battait contre le colonialisme au nom de l'indépendance de son pays, de la démocratie et des droits et libertés fondamentales, a été interrompue suite à sa mort dans des conditions inhumaines.

Le général Mobutu Sese Seko, arrivé au pouvoir lors du coup d’Etat militaire de 1965, a remplacé Lumumba, tué par les congolais qui ont coopéré avec les colonialistes ainsi qu’avec les États-Unis et la Belgique. Pendant 32 ans, le général a adopté un leadership autocratique.

Le pouvoir politique du général Mobutu, à la tête du pays depuis 32 ans, a lassé le peuple congolais. Les pratiques arbitraires de Mobutu et la gestion répressive du pays ont incité les partisans politiques de Lumumba à lutter contre le pouvoir de Mobutu.
Laurent-Désiré Kabila, qui se décrivait comme un "maoïste", et ses partisans ont entamé une lutte contre Mobutu. Mais les conflits entre les parties et l'environnement politique qui est né à l’issue du conflit ont provoqué la guerre civile.
La guerre civile qui a commencé avec le renversement du général Mobutu, s'est poursuivie entre les années 1996-1997 et a entraîné la mort de nombreux congolais.

Après son arrivée au pouvoir, Kabila a voulu expulser les missions étrangères du pays, y compris les diplomates, les conseillers, les soldats et les réfugiés.

Lorsque les Tutsis, arrivés du Rwanda en tant que réfugiés, ont réagi à cette situation, le Rwanda en a profité et s'est impliqué dans les événements politiques.

Le Rwanda, qui est passé à l’oeuvre en raison de la rébellion croissante des Tutsis, a lancé un processus de polarisation politique en attirant le Burundi et l'Ouganda à ses côtés.

Suite au soutien accordé au Congo par les Etats proches de l’administration socialiste -tels que l'Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Mali, la Libye et le Tchad- une guerre civile dite "Guerre mondiale de l'Afrique" ou "Grande guerre africaine" a éclaté au Congo.

Au cours de cette guerre civile (1998-2003), des millions de personnes ont été tuées, violées et pillées. Des enfants ont été enrôlés comme soldats et ont été reconduit au front.

Le peuple congolais, victime de grandes souffrances causées par le colonialisme et les rivalités politiques de grands États, n’a pu réaliser son souhait de démocratie. En 2001, suite à l’assassinat de Kabila, son fils Joseph Kabila a pris le pouvoir.

Joseph Kabila, qui a obtenu 48,9 % des voix lors des élections du 28 novembre 2011, a été élu président pour la deuxième fois.

Le report des élections qui devaient selon la Constitution initialement se tenir le 27 novembre 2016 ont dérangé l'opposition. La décision de la Cour constitutionnelle qui a statué que Kabila pouvait rester en fonction jusqu'à l’organisation des nouvelles élections, a suscité les réactions de l'opposition.

Si des négociations entre le gouvernement et l’opposition ont été menées grâce à l’initiative d’Edem Kodjo, ancien premier ministre togolais et médiateur de l'Union africaine, celles-ci n’ont pas abouties à de sérieux résultats.

A l’issue de la décision de la Commission électorale de reporter à l’année 2018 les élections initialement prévues en 2016, des manifestations anti-Kabila ont éclatées d’abord dans la capitale congolaise, Kinshasa, puis dans d'autres villes.

L’initiative de "dialogue national" lancé par Kodjo, suite à l’ampleur des violences lors des manifestations, a abouti à la signature d’un accord le 18 octobre 2016. Conformément à cet accord, Samy Ntita Badibanga, membre de l’opposition a été nommé premier ministre le 17 novembre 2016. Cette situation a apaisé les tensions et diminué les événements. Les manifestations qui ont eu lieu le 19 novembre 2016 sur appel de l’opposition se sont déroulées calmement. Les événements survenus à l’issue du mandat de Kabila, soit le 19 décembre, et les jours suivants n’ont pas été aussi sévères que prévu.

Le 18 octobre 2016, le premier ministre Badibanga, nommé dans le cadre de l’accord conclu entre le bloc gouvernemental Majorité Présidentielle (MP) et une partie de l'opposition, a annoncé le nouveau gouvernement composé de 45 personnes dont de personnalités issues de l’opposition.

A cette période les négociations menées entre le bloc gouvernemental et l'opposition grâce au Comité Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ont abouties le 31 décembre 2016.

Dans le cadre de ces négociations, un nouvel accord a été signé entre le gouvernement et l'opposition. Selon l’accord, Kabila dont le mandat a expiré le 9 décembre continuerait d’être le président pendant la période de transition, les nouvelles élections se tiendraient en décembre 2017 et Kabila devra, à l’issue des élections, céder la place au nouveau président.

Toujours selon l'accord, le mandat présidentiel réalisé par Kabila au cours du processus de transition ne sera pas qualifié de « troisième mandat ».

Les élections n’ont pas été réalisées et ont fait l’objet d’un nouveau report en raison des problèmes de terrorisme, des défaillances en matière de sécurité ainsi qu’à cause de l'instabilité politique dans le pays.

A la lumière des déclarations de la Commission électorale, les élections, qui étaient prévues pour le 23 décembre 2018, n’ont que récemment eu lieu.

À l’issue des élections réalisées le 30 décembre 2018, Félix Tshisekedi, candidat de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), principal parti d'opposition, a remporté la présidence avec 38% des voix.
De la sorte, les élections différées depuis 2016 ont été réalisées et pour la première fois depuis 1960 une méthode démocratique a été adoptée.

Selon Kornay Nanga, Président de la Commission électorale nationale du Congo, le taux de participation aux élections s’élevait à 47,56%. Le candidat du parti au pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary a obtenu 23,8% des voix tandis que Martin Fayulu a remporté 35,2% des voix.

Des allégations de corruption ont vu le jour compte tenu des déclarations de la communauté internationale et de la proximité des voix obtenues par les candidats.
Alors que les résultats de l'élection devaient être confirmés par la Cour constitutionnelle jusqu’au 15 janvier 2019, les résultats électoraux des régions de Beni, Butembo et Yumbi -qui voteront d’ici mars 2019- pourraient changer les résultats électoraux.

Diverses objections ont été formulées par de nombreuses organisations, dont en premier lieu CENO. Le 10 janvier, le CENO a déclaré que « les chiffres annoncés ne sont pas conformes à ceux cités par les observateurs aux postes de scrutin et de comptage » prétendant ainsi que les élections étaient corrompues.

L’Eglise catholique, l'institution prétendument la plus digne de confiance du pays, est qualifiée par certaines agences de presse occidentales comme représentante des 40% du pays.

Les observateurs rattachés à l’Eglise -et dont le nombre s’élevait à 40000- ont souligné l’irrégularité des élections affirmant que le retard dans la divulgation des résultats a créer des doutes quant aux résultats.

De son côté la BBC, au préalable de l'annonce des résultats électoraux, a affirmé que le gouvernement Kabila a censuré la diffusion de la Radio France Internationale, chaîne d’opposition, et que 20% des urnes ont été tardivement ouvertes.

Des observateurs de l'Union africaine et de la Communauté de développement de l'Afrique du Sud ont, quant à eux, déclaré que le processus avait été bien géré.

A l’issue de l'annonce des résultats, des manifestations ont eu lieu dans la capitale, Kinshasa, causant la mort de six personnes. A Kikwit, le peuple a mis le feu à trois postes de police et un tribunal. Là encore deux civils et deux policiers ont perdu la vie.

Candidat de l'opposition soutenu par la France, Martin Fatulu, a soutenu lors d'une conférence de presse que «les résultats ne reflétaient pas la réalité ».

Fayulu qui s’est opposé aux résultats électoraux et qui a qualifié la situation de «coup d'État électoral», a déclaré que « la situation est incompréhensible». Selon lui «la victoire du peuple congolais a été volée» et «le peuple n'acceptera jamais les voleurs de victoire».

Les explications similaires exprimées par l'Église sont importantes pour Fayulu, candidat clairement soutenu par la France.

Affirmant que le réel vainqueur des élections est Fayulu, le ministre français des affaires étrangères (MAE), Jean-Yves Le Drian, a déclaré dans un communiqué de presse que « les résultats décrits ne correspondent pas aux résultats réels enregistrés ici et là. CENO a annoncé des résultats complètement différents. » De la sorte il a clairement apporté son soutien à Fayulu et à l’Eglise.

« Nous devons rester calmes, éviter les conflits et être tangibles dans les conséquences contraires à ce que nous prévoyons. Les choses ne progressent pas dans le bon chemin parce que le vainqueur des élections est Fayulu », a indiqué le MAE français.
En faisant part des « espoirs de Paris d’atteindre les vraies conséquences des élections grâce aux dirigeants des pays africains et des organisations africaines », Le Drian avait tenté de s’ingérer dans les affaires intérieures de la RDC. Cette situation a vivement suscité la réaction du peuple congolais.

Quant au vainqueur de l'élection, Tshisekedi, ce dernier avait formulé des déclarations apaisantes afin d’éviter que la situation ne se transforme en conflit.

« Aujourd’hui, nous devons le voir comme un partenaire et non comme un concurrent. Aujourd’hui, je suis heureux pour le peuple du Congo. Tout le monde pensait que ce processus conduirait à des conflits et des violences », s’était-il exprimé.

Face à l’échec du candidat qu’elle soutenait, la France a affirmé la nécessité de parvenir à une « solution pacifiste ».

« La contestation aux résultats électoraux signifierait des semaines orageuses pour la RDC. Ceci est la dernière chose dont le pays, qui a été victime pendant des décennies de guerre, de pillage et de négligence malgré l'énorme potentiel qu'elle doit à ses ressources souterraines, a besoin. Joseph Kabila a dû quitter son pouvoir sous la pression audacieuse du peuple, dont en particulier celle de la fraction catholique. [...] Les électeurs ont refusé d’élire le successeur de Kabila. Maintenant, les résultats réels de l'élection doivent émerger. Et ce dans le cadre d'un processus d'objection pacifiste. »

Les déclarations des autorités françaises indiquent clairement la volonté de la France de s'impliquer en RDC -dans le cadre de la politique étrangère de la France- et de l’orienter selon ses propres intérêts.

De la même manière, le journaliste belge et l'expert africain, Walter Zinzen, a également fait part de sa «déception» dans son article publié dans De Standaard.
Exprimant le sentiment d'inconfort de la Belgique face au succès de Tshisekedi Zinzen a écrit: « Le principal candidat du parti d'opposition Felix Tshisekedi sera un président sans pouvoir réel. Parce qu’il n’a pas la majorité au Parlement [...] Plus important encore, il n’ a aucune influence sur les forces de sécurité. L'armée, les trois organisations de renseignement, et la magistrature débordent de partisans de Kabila. Leur véritable chef est encore Kabila [...] La même chose est valable pour les préfets des 22 provinces [...] Kabila ne semble pas avoir abandonné. Car leurs intérêts financiers sont très importants [...] Il doit continuer à s'enrichir. L'absence de Joseph Kabila du palais présidentiel ne changera pas cette vérité. »

Face aux efforts déployés par la France et la Belgique afin de créer une influence dans la région, les États-Unis ont déployé 80 troupes au Gabon, et ce, contre d’éventuelles violences au Congo.

Cherchant à maintenir son efficacité en Afrique, les Etats-Unis ont profité de l’instabilité et de l’insécurité au Congo et ont déployé des troupes sous prétexte de protéger son ambassade.

Cette politique indique clairement que les États-Unis ne veulent pas perdre leur efficacité en Afrique subsaharienne et que la région peut, dans un avenir proche, devenir la scène de rivalités mondiales.

Il est également nécessaire d’analyser cette situation à la lumière de la récente tentative de coup d'État militaire survenue au Gabon.

Bien que la RDC soit un pays africain souffrant de pauvreté et qu’elle soit confrontée à de graves problèmes politiques et économiques, elle reste néanmoins un pays important en Afrique au regard de sa superficie et de sa population.

Ses richesses en diamants, en cuivre et en réserves de zinc, conduisent également les États, à l’instar de la France et de la Belgique, à désigner le Congo comme une zone d'intervention et d'influence.

La coopération de la France, qui veut maintenir son efficacité au Congo, avec l’Eglise catholique, est un fait connu grâce aux informations.

Toujours selon les informations, il apparaît que la Belgique n’a pas l’intention de perdre son efficacité [sur son ancienne colonie] face à la France.

A ce stade, l’envoi par les États-Unis de troupes en RDC, sous prétexte d’élections rend le pays ouvert à toute intervention extérieure et accroît les rivalités d’influence des États occidentaux dans la région.

[Tugrul Oguzhan Yılmaz travaille en tant que chercheur au Centre de Formation et de Coordination d’Afrique (AKEM)]
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