Pourquoi Hugo Chavez fascine-t-il toujours ? (Analyse)*
- En plein néolibéralisme, Chavez fut le premier président d’Amérique latine à faire face au Pouvoir financier international et à l’Empire américain. Le bilan est impressionnant dans l'immédiat, mais plutôt mitigé à plus long terme.

Dubai
AA/ Mohamed Badine El Yattioui**
Le XXIe siècle a commencé dès 1999 en Amérique latine avec l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez (il a été élu en décembre 1998 et a pris ses fonctions en février 1999). Son élection à la présidence va, à la fois, bouleverser l’histoire de son pays mais également celle de l’espace latino-américain. Sur le plan intérieur, il fait voter, dès 1999, une nouvelle constitution qui modifie en profondeur l’équilibre des pouvoirs de son pays en donnant plus de pouvoir à l’Exécutif. Elle change également le nom du pays qui devient « République Bolivarienne du Venezuela ».
L’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche dans la majorité des pays de la région, le désintérêt du Président W. Bush (2001-2009) pour celle-ci, conjugués aux difficultés diplomatiques et économiques de Washington au niveau mondial (interventions militaires en Afghanistan et en Irak), ont fait que les Etats latino-américains ont senti qu’une brèche s’ouvrait. La place acquise sur le plan international par le Brésil, avec l’élection de Lula en 2003, change la donne, tout comme l’influence qu’Hugo Chavez veut donner à son pays, au plan régional.
- Stratégie économique audacieuse
Sa stratégie économique audacieuse va avoir des conséquences internationales. Surtout en ce qui concerne le pétrole qu’il nationalise et dont il confie la gestion à la société publique PDVSA. Cette nationalisation touche directement les intérêts des entreprises pétrolières américaines. Caracas dispose en effet des premières réserves d’or noir au monde, devant l’Arabie Saoudite. Avant l’élection d’Hugo Chavez, le Venezuela vendait 45% de son pétrole aux Etats-Unis. Cela correspondait pour la première puissance mondiale à 20% de ses importations totales. Cela va perdurer durant les mandats d’Hugo Chavez (1999-2013), et ce, malgré la tension extrême. Malgré les tensions, la PDVSA possédait six raffineries et quatorze mille stations-services aux Etats-Unis par le biais de sa filiale Citgo. Cette société est la plus importante du pays. Elle totalise 75% des exportations nationales, 50% des ressources fiscales et 33 % du PIB. Hugo Chavez en est parfaitement conscient et va mettre en place une véritable stratégie qu’Isabelle Rousseau, qui enseigne au Centre d’études internationales du Colegio de México nous décrit très précisément : « Le gouvernement a d’abord renoué avec la discipline de l’OPEP, car la conjoncture des prix était à ce moment-là défavorable aux pays producteurs, en raison notamment de la crise asiatique qui avait fait plonger le prix du brut. Parallèlement, il a fixé les deux grandes lignes directrices de sa politique pétrolière : la première consistait à favoriser les activités à forte valeur ajoutée en développant une industrie de transformation des hydrocarbures sur le territoire national ; ce faisant, le gouvernement entendait reprendre en main la totalité de la chaîne pétrolière et rompre avec la politique antérieure qui consistait à se concentrer sur la production de brut; la seconde visait à promouvoir l’exploration, la production et la commercialisation du gaz naturel, peu développées malgré les très abondantes réserves du Venezuela ».
- Réformes en série
Par ailleurs, l’augmentation significative du prix du baril de pétrole dans les années 2000 a permis au leader vénézuélien de diversifier le rôle de la PDVSA. En août 2005 il élabore un plan visant à réformer l’entreprise : le plan Siembra Petrolera (semence pétrolière) afin qu’elle aide au développement économique et social du Venezuela. Des filiales sont créées : PDVSA Agricole, PDVSA Industriel, PDVSA Gaz Communal, PDVSA Naval ou encore PDVAL pour l’alimentation, sans aucun lien direct avec l’activité pétrolière. De plus, son ambition est de financer des projets sociaux d’envergure avec les profits réalisés. Cela a nécessité de recruter un nombre important d’employés dévolus uniquement à cette tâche ; L’entreprise qui comptait 20 000 employés en 2002, en compte presque 100 000 en 2010 !
Il a développé ce que l’on pourrait appeler une « diplomatie pétrolière ». Pour contrer la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), voulue par Washington, il a mis en place un programme d’intégration énergétique régionale qui prend comme base les pays de l’ALBA (Venezuela, Cuba, Equateur, Bolivie, Dominique, Antigua et Barbuda, Nicaragua et St Vincent et les Grenadines) : Petroamerica. Il se décline en trois entités : Petrosur, Petrocaribe et Petroandina. Son objectif est de diminuer la dépendance avec les Etats-Unis.
- Un danger immense pour Washington
Chavez a financé de nombreuses campagnes électorales et l’action de nombreux chefs d’Etats latino-américains afin de diminuer l’influence de Washington (Evo Morales en Bolivie ou Rafael Correa en Equateur). Pour les Etats-Unis, Hugo Chavez est un danger immense sur le plan régional, pour ne pas dire mondial car il s´allie avec l´Iran, la Syrie et la Libye.
La relation entre Caracas et La Havane a également marqué les esprits. Un accord de coopération grâce auquel le régime des frères Castro recevait 100 000 barils de pétrole brut par jour est mis en place. En échange, le Venezuela recevait de Cuba 35 000 médecins et infirmières qui lui font cruellement défaut. L’annonce de cet accord a fortement irrité les Américains qui appliquent un embargo très dur envers l’île caribéenne depuis un demi-siècle.
En 2005, Tele Sur est créée afin de concurrencer les chaînes d’information américaines, et particulièrement CNN. Son capital est détenu par le Venezuela, l'Argentine, Cuba et l'Uruguay. En 2009, Hugo Chavez déclare " Le Sucre, (Système Unitaire de Compensation Régionale), est né ", après la signature d'un accord sur ce point entre les participants au sommet de l’ALBA qui se tenait à Cumana au Venezuela. Le but était d'éviter l'utilisation du dollar mais sans succès.
- L'argent du pétrole
Néanmoins, précisons qu´il a utilisé l’argent du pétrole à des fins de développement économique et social. Entre 1999 et 2010, la pauvreté a fortement diminué passant de 49,8 % à 27,4 % (troisième taux le plus bas d’Amérique latine) et marquant la sortie de la pauvreté de 2,5 millions de personnes. Précisons que 45 % des réserves des banques doivent obligatoirement financer les microentreprises qui s’occupent des questions de santé, d’éducation, de logement ou d’alimentation. En dix ans, Hugo Chavez a débloqué 120 milliards de dollars pour ces « misiones ». Cela démontre l’importance des revenus pétroliers pour l’ensemble des politiques publiques du pays puisqu’ils permettent leur financement et leur développement. Malgré tout précisons que ces investissements et cette baisse de la pauvreté sont des actions de court terme, Hugo Chavez n’ayant en rien touché aux éléments structurels de la pauvreté comme le manque d’emploi ou l’absence d’une économie productive et aux productions diversifiées. Selon Julien Rebotier, chercheur au CNRS en France et spécialiste de ce pays, « le Venezuela, c'est le syndrome de la maladie hollandaise. Il n'y a pas eu d'effort de réorientation de l'appareil productif tandis que le secteur pétrolier souffre de sous-investissement en recherche et exploration. En matière sociale, il répond à l'urgence sans stratégie d'avenir ».
Hugo Chavez répète à l’envie que son modèle est Simon Bolivar, celui qui a permis de libérer l’Amérique latine du joug colonial. Le leader vénézuélien cherche à établir une filiation en « libérant « l’Amérique latine de la doctrine Monroe en quelque sorte. Il meurt le 5 mars 2013. Depuis, le Venezuela est entré dans une longue crise multidimensionnelle.
* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.
* Dr. Mohamed Badine El Yattioui, Professeur de Relations Internationales à l´Université des Amériques de Puebla (Mexique).