
Provence-Alpes-Cote d Azur
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
À peine nommé, le gouvernement de Michel Barnier se retrouve confronté à un fait divers atroce, mettant en cause un ressortissant marocain sous OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), dans le meurtre de Philippine.
La jeune étudiante, âgée de seulement 19 ans et dont le corps a été retrouvé dans le Bois de Boulogne, aurait été tuée par Taha, 22 ans, déjà condamné pour le viol d’une autre jeune femme après son arrivée en France en 2019.
Comme dans l’affaire Lola, les réseaux sociaux, médias et responsables politiques se sont immédiatement emparés de l’affaire, faisant de Philippine, une victime du système judiciaire français, accusé d’être trop laxiste.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, connu pour ses positions particulièrement rigide en matière de sécurité et d’immigration, s’est lui-même positionné sur le sujet dès mercredi matin, quelques heures après l’interpellation du suspect, en appelant à « faire évoluer » l’arsenal juridique français.
- Vers une nouvelle loi immigration
À peine installé Place Beauvau, l’ancien patron des sénateurs LR (Les Républicains) a planté le décor en multipliant les interventions médiatiques visant à évoquer ses pistes pour « rétablir l’ordre ».
Parmi ses sujets de prédilections, la question migratoire s’est naturellement retrouvée au cœur des discussions.
Dans une interview donnée lundi au journal Le Figaro, le ministre expliquait vouloir « mettre un coup d’arrêt aux entrées illégales, et augmenter les sorties, notamment pour les clandestins car on ne devrait pas rester en France quand on y est entré par effraction ».
Le même jour, à l’antenne de TF1, il plaidait pour le rétablissement du délit de séjour irrégulier et considérait qu’il « ne faut pas s’interdire de faire une loi ».
« Quand on entre illégalement en France, c’est contre la loi » avait-il estimé avant d’expliquer vouloir « prendre tous les moyens pour baisser l’immigration en France ».
Face au meurtre de Philippine, tuée par un citoyen marocain, délinquant sexuel déjà connu des services de police et de justice, et sous OQTF après une condamnation à 7 ans de prison pour viol, Bruno Retailleau a donc saisi l’occasion pour réaffirmer sa volonté de durcir la législation française en la matière.
Dans une longue publication sur le réseau social X, le locataire de Beauvau estime en effet que « face à un tel drame, précédé de bien d'autres, nous ne pouvons pas nous contenter de déplorer ou de nous indigner ».
« C'est à nous, responsables publics, de refuser la fatalité et de faire évoluer notre arsenal juridique, pour protéger les Français. Car c'est le premier de leurs droits, et donc le premier de nos devoirs. S'il faut changer les règles, changeons-les. Ensemble, avec le Ministre de la Justice, dans le périmètre de nos responsabilités respectives, et sous l'autorité du Premier ministre, nous devrons travailler pour assurer la sécurité de nos compatriotes » a-t-il poursuivi, ouvrant ainsi la voie à une loi immigration qu’il juge désormais nécessaire.
- Pour l’extrême-droite, une justice trop laxiste
Le meurtre de Philippine met aujourd’hui en lumière plusieurs éléments jugés inacceptables par l’opinion publique et pourtant parfaitement ancrés dans le cadre de la loi.
Si le meurtrier présumé de la jeune étudiante a été confondu grâce à son ADN et au bornage de son téléphone repéré en Suisse où il a pu être interpellé, mardi soir, ce dernier avait écopé de 7 ans de prison pour un viol commis en 2019, juste après son arrivée sur le sol français.
Incarcéré en mars 2022, il avait bénéficié d’une remise en liberté conditionnelle en juin 2024, avant d’être placé en CRA (Centre de rétention administrative), en vue de son expulsion vers le Maroc.
La durée de rétention administrative étant limitée par la loi à 90 jours, les autorités ont donc été contraintes de le libérer le 3 septembre, mais l’ont assigné à résidence dans un hôtel avec une obligation de pointage qu’il n’a jamais respectée.
La France a finalement reçu le laissez-passer consulaire émis par le Maroc pour permettre son expulsion, dès le 6 septembre, mais n’a jamais pu l’exécuter, le suspect ayant été libéré trois jours plus tôt.
De fait, le suspect a été inscrit sur le fichier des personnes recherchées le 19 septembre, et est désormais suspecté d’avoir tué Philippine le lendemain, jour de sa disparition.
Face à ce récit, la droite et l’extrême-droite sont vent debout contre ce qu’ils qualifient de « laxisme judiciaire », pointant des « dysfonctionnements ».
« La vie de Philippine lui a été volée par un migrant marocain sous le coup d’une OQTF. Ce migrant n’avait donc rien à faire sur notre sol, mais il a pu récidiver dans la plus totale impunité. Notre justice est laxiste, notre État dysfonctionne, nos dirigeants laissent les Français vivre avec des bombes humaines. Il est temps que ce gouvernement agisse : nos compatriotes sont en colère et ne vont pas se payer de mots » a notamment commenté le président du RN (Rassemblement National), Jordan Bardella dans une publication sur X.
Le président de Reconquête, Éric Zemmour, a lui aussi réagi en mettant en avant le statut de « migrant sous OQTF » de son meurtrier présumé.
« Le devoir de chacun d’entre nous, chacun à son poste, est de se battre pour éviter cette fin à nos enfants » a-t-il déclaré.
Cependant, malgré les discours politiques de circonstance, les autorités françaises n’ont pas la possibilité d’exécuter la totalité des OQTF prononcées par l’administration. En effet, en l’absence de passeports ou de documents d’identité, la France se doit de solliciter des laissez-passer consulaires qui sont parfois refusés par les pays d’origine.
Il est par ailleurs impossible, en vertu du droit européen, d’expulser des ressortissants sous OQTF vers des pays où leur intégrité physique pourrait être menacée, comme c’est le cas par exemple en Afghanistan.
Les derniers chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur fin 2023, indiquent que seuls 6,9% des OQTF ont été effectuées sur l’année 2022.
Ce taux très faible est régulièrement au centre des polémiques, tandis que la gauche dénonce des amalgames et appelle à éviter « la récupération » de certains faits divers pour en faire des faits politiques.
C’est notamment le sens du propos de la députée Sandrine Rousseau, qui estimait mardi soir, que le meurtre de Philippine, qu’elle qualifie de « féminicide », mérite « d’être jugé et puni sévèrement » mais déplorait le fait que « l’extrême-droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe ».
« Nous sommes plus forts que cette récupération » a-t-elle conclu.