Assassinat de Samuel Paty : l’Etat français a-t-il failli ?
- Les questions demeurent nombreuses quant à la manière dont les autorités ont géré les menaces qui visaient l’enseignant avant son assassinat

Provence-Alpes-Cote d Azur
AA / Nice / Feïza Ben Mohamed
Le 16 octobre 2020, la France découvrait avec effroi, l’horreur avec laquelle Samuel Paty, professeur d’Histoire au collège du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, venait d’être décapité par Abdoullakh Anzorov, un jeune ressortissant russe, d’origine tchétchène.
Dans un pays déjà marqué par de nombreux attentats terroristes, l’onde de choc provoquée par cet assassinat a été telle que l’Etat a été contraint de réagir rapidement pour que cessent les spéculations sur d’éventuels manquements dans la protection de l’enseignant, qui se savait menacé.
Quatre ans après les faits, sa sœur Mickaëlle Paty, enchaine les interventions médiatiques pour demander à ce que "l’Etat reconnaisse sa part de responsabilité" et pointe une "absence de protection".
- L’Etat s’est-il rendu coupable de manquements dans la sécurité de Samuel Paty?
Depuis l’assassinat de son frère, la jeune femme, infirmière anesthésiste de métier, cherchait des réponses.
Elle voulait savoir pourquoi, alors que Samuel Paty faisait l’objet de menaces sur les réseaux sociaux, l’Etat, les pouvoirs publics, n’ont pas mis en place les outils nécessaires, de manière à ce qu’il puisse être protégé et mis à l’abri des difficultés qui pesaient sur lui depuis sa mise en cause par une collégienne qui l’accusait d’avoir montré des caricatures du prophète Mohammed pendant l’un de ses cours.
Après la publication, sur les réseaux sociaux, de vidéos du militant Abdelhakim Sefrioui et de Brahim Chnina, le père de cette élève, Samuel Paty se savait identifié et se rendait sur son lieu de travail avec un marteau dans son sac, comme en attestent les éléments contenus dans le dossier d’instruction.
En juillet dernier, Mickaëlle Paty a pris la décision d’attaquer l’Etat, qu’elle exhortait depuis mars, à reconnaître sa responsabilité dans l’attentat qui a visé son frère considérant qu’il n’avait "ni soutenu ni protégé Samuel Paty afin d’éviter que les menaces de mort contre lui ne soient mises à exécution".
"Je me suis retrouvée à attaquer l'État, à défaut de réponse de l'État. Au départ, c'était une requête en reconnaissance en responsabilité de l'État par rapport à l'attentat qui a visé mon frère, c'est-à-dire montrer l'absence de protection", a-t-elle expliqué dans un entretien diffusé sur TF1.
Et de poursuivre: "Il était convaincu que des choses étaient mises en place pour lui, pour sa sécurité, parce qu'on le lui a dit. Le référent à la laïcité, le lundi (NDLR: 4 jours avant son assassinat) à la réunion, va dire que le collège est sous protection, qu'il y a des individus sous écoute".
Dans le détail, les propos de Mickaëlle Paty sur une possible réponse sous-calibrée de l’Etat, face à la spirale dans laquelle s’est retrouvé son frère, semblent corroborés par des faits puisque le dossier d’instruction a permis de révéler l’existence d’une note rédigée par le renseignement, et dans laquelle il était expliqué que le climat s’était "apaisé" dans les jours qui ont suivi le début de la polémique liée aux caricatures.
Malgré ces divers détails qui, mis bout à bout, laissent à penser que la gestion du cas de Samuel Paty n’a pas été à la hauteur, Mickaëlle Paty confirme n’avoir reçu aucune réponse de la part de l’Etat et notamment du ministère de l’Éducation nationale après sa demande de reconnaissance de responsabilité.
- Le fiasco du Fonds Marianne et l’utilisation du nom de Samuel Paty pour justifier le lancement d’initiatives contestées
Si l’Etat se refuse à évoquer une quelconque responsabilité dans cet attentat qui aura marqué durablement le pays, il a multiplié, à grand renfort de médias, les initiatives visant à faire de l’affichage en matière de lutte contre "l’islamisme", la création du Fonds Marianne en tête de liste.
Celui-ci, dévoilé en mars 2021 par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la citoyenneté, surfait ouvertement sur l’assassinat de Samuel Paty, survenu six mois plus tôt et revendiquait une action visant à "défendre les valeurs de la République" en combattant de prétendus "discours séparatistes" grâce à une dotation de 2,5 millions d’euros dont l’utilisation fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du PNF (Parquet National Financier) après une enquête de l’IGA (Inspection générale de l’administration) et une commission d’enquête parlementaire diligentée par le Sénat.
Dans ce dossier embarrassant pour l’Exécutif, et initialement révélé par France 2 début 2023, il a notamment été établi par les diverses investigations et par une enquête du journal Le Monde, que ce Fonds Marianne, aux allures d’instrument de défense de la liberté, a en réalité servi à cibler des opposants politiques, des militants contre l’islamophobie, ou encore des journalistes.
Ce scandale a notamment précipité la chute du Préfet Christian Gravel, proche de l’ancien Premier ministre Manuel Valls et à la tête du CIPDR (comité interministériel de lutte contre la délinquance et la radicalisation), accablé par les conclusions de l’IGA qui pointe des manquements et une absence de contrôle sur l’attribution de sommes parfois astronomiques à des structures associatives qui venaient d’éclore.
Marlène Schiappa, engluée dans la polémique, n’a pour sa part pas été reconduite au gouvernement après la démission de la première ministre Elisabeth Borne en janvier 2024.
Pour autant, sa responsabilité dans ce fiasco politico-financier reste pointée du doigt par la famille de Samuel Paty, Maître Virginie Le Roy, qui a réagi au même moment des faits en critiquant "les manœuvres d’évitement" de la ministre.
"Elle tente de dégager sa responsabilité, elle ne répond pas aux questions. Ce fonds a été créé suite à l’assassinat de Samuel Paty, le nom de Samuel Paty est largement usité dans les prétendus travaux de fond, ces fonds ont été détournés, c’est purement et simplement abject", a-t-elle grincé, citée par Europe 1 en 2023.
- Un coup porté au tissu associatif musulman, et à ses figures représentatives
Si les acteurs de l’organisation du culte musulman en France ont toujours eu de grandes difficultés à s’organiser pour se présenter comme un corps uni, crédible et solide face aux pouvoirs publics, la machine étatique n’a pas hésité à frapper vite et fort, pour montrer une prétendue action.
L’assassinat de Samuel Paty apparaît comme un point de bascule pour le tissu associatif musulman, jusqu’alors largement illustré par les modèles de réussite d’associations comme Barakacity (ONG humanitaire) ou le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France).
C’est donc très naturellement que les pouvoirs publics ont voulu, comme le revendiquait le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin "faire passer un message", après la mort de l’enseignant.
Barakacity et le CCIF ont fait l’objet de procédures de dissolution et de perquisitions dans le sillage de l’affaire Samuel Paty alors que rien ne les reliait directement à l’attentat.
Dans le même temps, la machine législative s’est mise en route pour mettre sur pied et faire adopter la loi dite contre le "séparatisme" en août 2021 et venant s’attaquer directement à l’enseignement privé, aux structures associatives, et visant à durcir les conditions d’existence de certaines organisations.
Le texte est également venu instaurer un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée "aux fins de l'exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer", s’inspirant directement de l’affaire Samuel Paty.
En parallèle, plusieurs imams populaires et particulièrement suivis sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet de procédures d’expulsion, à l’image de Hassen Iquioussen, qui s’est vu délivrer une OQTF (obligation de quitter le territoire français), de Mahjoub Mahjoubi, renvoyé en Tunisie en 2023, ou encore d’Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée de Pessac, actuellement enfermé dans un CRA (centre de rétention administrative) après avoir lui aussi fait l’objet d’un arrêté d’expulsion signé de la main de Gérald Darmanin alors même que les autorités nigériennes se refusent à lui octroyer un laissez-passer consulaire.
Interrogé sur ces diverses procédures administratives, un imam des Bouches-du-Rhône (qui a requis l’anonymat), considère que "l’Etat a agi et continue d’agir de cette manière à l’égard des musulmans parce qu’il a fallu jeter en pâture des cibles pour faire croire qu’il agit pour empêcher les actes de terrorisme".
Et de conclure : "Ce que les autorités oublient c’est que ce n’est pas dans nos mosquées que les gens se radicalisent. Ce n’est pas en ciblant des imams innocents qu’on va régler la question du terrorisme, ça va au contraire l’alimenter, mais ça, l’Etat s’en fiche. Ce qu’il cherche c’est à se dédouaner de ses manquements en trouvant des coupables désignés".
- Un procès sur des accusations parfois fragiles
L’assassin de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov a été abattu par les forces de l’ordre immédiatement après qu’il a attaqué l’enseignant et ne pourra donc pas éclairer la justice sur ses motivations, même si ses revendications publiées notamment sur les réseaux sociaux laissent peu de place au doute.
Pour autant le procès des huit personnes mises en cause dans le dossier, va s’ouvrir début novembre à Paris, devant la Cour d’assises spécialement composée. Parmi les accusés, figurent notamment Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, maintenus en détention et placés à l’isolement depuis quatre ans.
À quelques semaines de l’ouverture de ce procès très attendu, les avocats d’Abdelhakim Sefroui, Maitres Vincent Brengarth, Ouadie Elhamamouchi et Colomba Grossi, ont tenu, à Paris, une conférence de presse, au cours de laquelle ils ont annoncé leur intention de plaider l’acquittement de leur client, dont ils considèrent qu’il est injustement incriminé et détenu depuis 4 ans.
Dans le détail, il est reproché à Abdelhakim Sefrioui "d’avoir participé, avec Brahim Chnina, à l’élaboration et la diffusion de vidéos qui présenteraient de fausses informations, ou déformées et qui seraient destinées à susciter un sentiment de haine à l’égard du professeur Samuel Paty en lien avec la présentation des caricatures religieuses, et plus spécifiquement une vidéo publiée au soir du 11 octobre 2020, ainsi que le fait d’avoir diffusé des informations qui permettraient l’identification de Samuel Paty", expliquait Vincent Brengarth.
Et de poursuivre: "Ce dossier est entièrement vide s’agissant de monsieur Sefrioui. Il n’y a absolument rien qui le rapproche à l’attentat qui a été commis. Il ne connait pas et ne connaissait pas l’auteur de l’attentat et il est établi par les différents éléments de procédure, qu’il n’a jamais été en contact téléphonique avec lui. Il est également établi que la seule vidéo dans laquelle il apparaît le 11 octobre 2020, c’est une vidéo pour laquelle les investigations judiciaires n’établissent absolument pas qu’elle aurait été vue par l’auteur de l’attentat".
Le conseil relève même que selon les éléments de l’enquête, ce dernier "recherchait depuis plusieurs mois, une cible pour pouvoir exprimer sa haine, et que ça a été un effet d’aubaine que de trouver Samuel Paty".
La fin de ce procès aux enjeux majeurs est attendue fin décembre.
Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.