« Depuis la France, avec le Covid-19 » (Opinion)
France
AA / François Burgat*
On sait de longue date que les épreuves sont un révélateur des forces et des faiblesses, de la grandeur et de la bassesse de ceux, individus ou sociétés, qui y sont confrontés.
Le Covid-19 a donc, sans surprise, révélé en France, au sein des élites comme dans les profondeurs de la société, la présence de lumineux héros et de nobles penchants … mais aussi, inévitablement, celle de quelques moins belles réalités de toutes sortes.
Le plus discutable de ce qu’a fait le gouvernement est peut-être d’avoir choisi de nier la pénurie de moyens de protections - tels les masques- qui résultait logiquement d’un affaiblissement du secteur public hospitalier qu’il avait contribué à aggraver.
Et de n’avoir pas hésité, pour ce faire, à se réfugier derrière des justifications aussi hasardeuses que la crainte - exprimée très officiellement par la porte-parole du gouvernement - que ses concitoyens ne sachent pas les utiliser correctement !
Plus fondamentalement, la dimension mondiale de la crise a eu pour effet de rappeler aux élites politiques l’universalité du défi viral et, partant, des méthodes capables d’y répondre.
Paris qui avait d’abord moqué, avec une condescendance très “orientaliste”, les méthodes mises en œuvre par la Chine, ironisant sur leur incompatibilité avec une société démocratique, a dû faire très vite ensuite un spectaculaire aveu d’erreur.
Telle est, peut-être bien, la première grande leçon de cet épisode exceptionnel : cet aveu de fragilité que l’Occident donneur de leçons a étalé aux yeux de la planète.
Sans surprise, la société française a montré, elle aussi, les deux faces de sa nature.
Dans les files d’approvisionnement où trop de citoyens cherchaient à entasser des produits alimentaires sans proportion avec leurs besoins, on a assisté ainsi à des scènes d’une rare incivilité.
Chez quelques commerçants peu scrupuleux, la vente des masques a donné lieu à un vilain marché noir. Grâce à une explosion des initiatives, notamment numériques, cette même société française a su également faire preuve d’une étonnante inventivité pour restaurer le lien social mis à mal par la “distanciation”.
Et elle a su manifester -par de touchants concerts nocturnes- sa reconnaissance à l’égard des soignants.
Sans surprise, la crise a toutefois, par-dessus tout, révélé et exacerbé les disparités sociales et politiques qui affectent dangereusement le “vivre ensemble” français.
Entre les classes moyennes pouvant se confiner dans le télétravail et ceux que l’exigence de présence physique sur le terrain expose à des risques accrus de contamination. Entre les propriétaires de résidences secondaires qui passent à la campagne des heures au parfum de vacances et ceux qui, dans des appartements étroits et surpeuplés, affrontent un confinement infiniment plus anxiogène et le risque accru de sanctions de toutes sortes.
La fracture s’est ainsi approfondie avec les banlieues dites “difficiles”, ces quartiers d’un habitat aussi dense qu’il est sous doté en équipements culturels et de santé, que la France a réservé à la dernière strate -africaine- de son immigration.
Dans la banlieue parisienne de Saint Denis -où réside une forte proportion de ces descendants des migrants de l’Afrique du Nord ou subsaharienne, de culture musulmane- ce sont plus de dix pour cent du montant national des amendes pour entorses aux règles du confinement qui ont ainsi été imposées.
Dans ce contexte, les adeptes des raccourcis sectaires de l’extrême-droite, temporairement privés de leurs insinuations sur l’”islamisme” des banlieues, se sont déchaînés sur leur incivisme supposé, oubliant que si les hôpitaux des banlieues sont surchargés, cela est dû à l’insuffisance criante de leur nombre, bien plus qu’à la religion ou au comportement de leurs habitants.
Enfin, - tout comme les électeurs de Trump et bien d’autres, il est vrai - la société française s’est plus encore refermée sur ses problèmes, graves mais très relatifs, au détriment de toute considération pour les épreuves infiniment plus douloureuses des autres.
La France “des droits de l’homme” s’est -fort heureusement- mobilisée, ainsi, toute entière contre un mal susceptible de tuer entre deux et trois pour cent de ses citoyens.
Mais elle a continué à laisser imperturbablement pleuvoir sur la population de la province d’Idlib les bombes russes et syriennes qui tuent cent pour cent des femmes et des enfants qu’elle frappe aveuglément.
(*) François Burgat : Politologue - Aix en Provence
Les opinions exprimées dans cette tribune ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale d’Anadolu.