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Pierre Gassin, un Kerkennien de cœur (Portrait)

-Pour ce fils de l’Isle-sur-la-Sorgue, photographe professionnel amoureux de plages vierges et d’horizons infinis, se poser à Kerkennah a sonné comme une évidence. Presque un fatum. En cette terre tunisienne où il a élu domicile, il a trouvé sa muse.

Fatma Bendhaou  | 27.10.2022 - Mıse À Jour : 28.10.2022
Pierre Gassin, un Kerkennien de cœur (Portrait)

Tunisia

AA/Kerkennah/Fatma Ben Dhaou

Tout a commencé avec un pincement au cœur. Un déclic. « La première fois, si j’ai un pincement au cœur, c’est qu’il y a une raison », nous confie Pierre Gassin, confortablement assis chez-lui, dans son salon-bureau où livres et photos occupent l’espace, donnant à l’endroit une ambiance cosy presque familière. Un coup de foudre, Kerkennah ? « Ah oui …plus qu’un coup de foudre », glisse-t-il avec une voix calme, zen, à peine audible.

En octobre 2000, quand ce photographe professionnel est arrivé en touriste à Djerba, une autre île du sud tunisien, il a eu le béguin pour l’endroit. Il est donc revenu six mois après. L’année d’après, il est revenu quatre fois, puis huit fois une année plus tard et a fini par s’installer à mi-temps à Djerba pendant une douzaine d’années … Mais la belle histoire entre le photographe et son île d’adoption s’est arrêtée là pour incompatibilité d’humeurs. Parce qu’avec les endroits, c’est comme avec les personnes. Passée l’étincelle de de la première rencontre et la fougue du regard neuf, la suite est une question de compatibilité. « Djerba est un peu trop conservatrice à mon goût », laisse-t-il échapper à mi-voix. Après Djerba, l’envie de pérégrinations a emmené Pierre jusqu’à Sfax, une ville où on lui a dit de ne pas y aller -mais il ne faut jamais dire ceci à un photographe à l’œil curieux, ça le « titille »-. Puis un beau jour, de jeunes photographes amateurs, rencontrés lors d’une exposition, l’ont invité à Kerkennah qu’il ne connaissait pas. « En repartant j’ai un pincement au cœur … ça c’est très mauvais signe », note-t-il, sourire aux lèvres. Pierre a, quant même choisi de continuer son bonhomme de chemin. Il est revenu à Sfax – « en pensant venir à Kerkennah mais je n’y venais pas assez souvent », dit-il-, puis a posé bagages pendant quelque temps à Bab Mnara, en plein cœur de Tunis. Un voyage initiatique ? Peut-être bien. Pour que la boucle soit bouclée, il a fallu qu’Ahlem Ghayaza, une amie poétesse qui venait au terme de la gestation de son premier recueil de poèmes inspiré de Kerkennah fasse appel à lui pour la couverture de son livre … puis pour le livre. « Puis, je me suis établi ici… Le livre, c’était un prétexte », avoue Pierre. De cette collaboration entre une poétesse à fleur de peau et un photographe au regard passionné est né un magnifique livre fait à quatre mains : Felouques.


- « Je retrouve la façon de vivre de mes grands-parents »

Dans sa maison kerkennienne, un rez-de-chaussée avec une magnifique terrasse et une vue imprenable sur la mer, Pierre a tout ce qu’il faut pour être en perpétuelle symbiose avec son environnement : son matériel photo, ses livres qui lui tiennent compagnie, un chien, l’odeur d’iode et plein d’épices pour concocter de bons plats.

Pour pouvoir arriver à la maison alors que nous étions perdus au milieu de nulle part et qu’il faisait nuit, nous avons dû solliciter l’aide d’un ami kerkennien. Et c’est au bout d’une petite ruelle longeant la plage à Ouled Yaneg que nous avons fini par apercevoir Pierre debout dans sa spacieuse véranda, à quelques mètres à peine de la Méditerranée.

Il ventait ce soir-là, comme il vente toujours à Kerkennah et le hurlement du vent conjugué au calme plat et à l’infinie obscurité qui drapait la mer nous donnait une drôle de sensation -presque de l’appréhension- alors que le maître des lieux nous recevait sur le perron.

« Je retrouve ici le côté calme, placide, qu’on avait en province dans les années 60-70 … Je retrouve la façon de vivre de mes grands-parents … Ce n’était pas la même religion, c’est la seule différence, mais il y a une liberté où les femmes sont très autonomes, elles dirigent les familles … C’est matriarcal Kerkennah, ce que j’apprécie toujours … », dit-il, lui qui ne tarit jamais d’éloges pour décrire son archipel tunisien. Pour ce natif de l’Isle-sur-la-Sorgue, un ancien village de pêcheurs du Vaucluse, à 80 km de Marseille, surnommé la Venise Comtadine ; se poser à Kerkennah a sonné comme une évidence. Il a vécu pas mal d’années à Paris où il créa il y a 30 ans le Centre de formation professionnelle et la galerie d’art IRIS dont il prit la direction artistique. Mais à l’Islois artiste dans l’âme, il manquait quelque chose. « Il me manquait la nature … J’ai vraiment besoin de nature(…) J’ai besoin de la marée, j’ai besoin du vent, j’ai besoin des nuages, j’ai besoin des oiseaux », murmure-t-il alors qu’une attendrissante petite créature, une chienne de rue qu’il a adoptée, et qu’il s’amuse à appeler « Choupinette », se prélassait à ses pieds. Depuis qu’il est installé, il ne se lasse jamais de faire ce qu’il fait de mieux : des expositions et des livres. Et quoi d’autre encore ? « Marcher avec les chiens … il y a plein de chiens ici, c’est génial … Pêcher … Ramasser les coquillages …Ramasser des herbes marines (…) Il y a toutes les activités culturelles aussi … Il y a des concerts, des festivals, des restaurants … ». Pierre se dit même « débordé ». « Je pensais venir ici lever un peu le pied et puis pas du tout … Il y a des propositions que je ne peux même pas assurer … Je prends le temps de vivre correctement »… Vivre correctement, voilà la devise de Pierre. Chez lui, ça sent bon la cuisine du terroir. Parce que le photographe avait eu un restaurant dans une autre vie et parce qu’en bon Méditerranéen, il pense que la cuisine, c’est un mélange d’épices et de curiosité. A notre arrivée, alors que nous passions par la cuisine pour accéder au salon, le plat du jour qui mijotait tranquillement sur la cuisinière nous a arraché un « que ça sent bon ici » presque involontaire. Ça sentait vraiment merveilleusement bon.

« Je fais une purée de pommes de terre dans laquelle je vais mettre un peu de zammit (Mélange en poudre à base d’orge grillée et moulue, NDLR) … et je prépare un bourguignon au vinaigre de grenade … un ragoût on va dire plutôt avec des gombos et des carottes fanes locales, auquel je rajouterai aussi un peu de robb de dattes (…) Un photographe c’est quelqu’un de curieux, un curieux professionnel …En cuisine, je fais la même chose », nous raconte-t-il.


-Se battre pour Kerkennah

Mais Kerkennah pour ceux qui en sont amoureux n’est pas uniquement un havre de paix ou on s’imprègne du vrai pour ne pas passer à côté de la vie. Ce n’est pas uniquement là où « on arrive à avoir une harmonie d’ensemble très intense », comme le dit si bien Pierre. Kerkennah où l’eau monte-et c’est visible à l’œil nue-, où la pêche n’est plus ce qu’elle était et où certaines espèces se raréfient; est surtout un combat. Et c’est sa manière à Pierre d’appartenir à ce bout de terre. D’en faire partie. Se sent-il kerkennien ? « Je ne sais pas ce que c’est Kerkennien …Je suis très attaché à Kerkennah (…) Oui je suis vraiment attaché à l’endroit …Je me bats pour l’île (…) On essaye de sauver ce que l’on peut sauver ici … C’est vital pour la Méditerranée Kerkennah donc je me bats pour la Méditerranée, c’est ma culture … J’appartiens à la Méditerranée donc je fais mon rôle, je fais mon devoir comme on dit en Tunisie », dit-il. Et des chantiers, il y en pas mal à Kerkennah. « A peu près tous les 15 jours, il y a des spécialistes scientifiques de toute la Méditerranée qui viennent à Kerkennah (…) ll y a pas mal de chantiers de la Méditerranée pour des ONG qui investissent ici pour essayer de planter la posidonie, sauver les grandes nacres, sauver la mer… ». Parce que finalement « un photographe, c’est un témoin ». Parole d’un photographe passionnément engagé.

Engagement oui, mais pas que. Kerkennah, c’est aussi là où on apprend à voir d’un autre œil le contact avec l’autre. Parce que cet autre, Pierre Gassin ne l’a subi. Il l’a choisi. Alors certes, sur cet archipel perdu, il « garde un peu son côté sauvage », mais ne se prive jamais de rencontres qui adoucissent le hurlement du vent. Et c’est d’ailleurs ce qui fait qu’il ne se sent jamais coupé du monde. « Au bout du monde oui, mais on rencontre les gens qui ont envie d’être au bout du monde aussi … On n’est pas coupé du monde ici, on voit moins de monde, mais la qualité des rencontres est bien meilleure (…) Il suffit d’avoir deux trois quatre personnes qu’on rencontre au cours de la journée …ça me suffit ». Une belle leçon de vie de la part d’un voyageur invétéré qui a succombé à l'idée de jeter l’ancre pour longtemps. « Je suis très bien … Je ne compte pas bouger avant un moment (…) On a pas mal de projets de livres ici … J’en ai pour une bonne vingtaine d’années ici je crois ». Son dernier livre qui vient de sortir de l’imprimerie il y a tout juste quelques jours s’appelle « Dar et Borj ... Mémoire de Sfax ». Un bel hommage à la ville qui lui a montré le chemin.

En sortant de chez-lui, nous laissons Pierre absorbé à écraser ses pommes de terre cuites pour sa purée au zammit, alors que sa « Choupinette » nous regardait d’un œil curieux en attendant tranquillement sa part du ragoût. Moins de 24 heures plus tard, alors que le bac se renfermait derrière nous s’apprêtant à prendre le large sur le chemin de retour vers Sfax, nous sentons un petit pincement au cœur. « Ça c’est très mauvais signe », nous avait dit un Islois de Kerkennah au pressentiment qui ne ment jamais.


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