Monde, Analyse

Trudeau, sur les traces du père et du « Club des cinq » (Analyse)*

- A la faveur d’un accord conclu, en mars dernier, avec le NPD, Justin Trudeau, chef d’un cabinet minoritaire, pourrait gouverner « tranquillement » jusqu’à 2025,

Fatma Bendhaou  | 18.05.2022 - Mıse À Jour : 18.05.2022
Trudeau, sur les traces du père et du « Club des cinq » (Analyse)*

Canada

AA / Montréal / Hatem Kattou

Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, au pouvoir depuis le mois de novembre 2015, a conclu, au mois de mars dernier, un accord avec le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, en vertu duquel le NPD soutiendra le Parti libéral lors des votes de confiance qui seront engagés par d’autres partis de l’opposition, représentés à la chambre des communes à Ottawa, s’agissant en particulier, du Parti Conservateur et du Bloc Québécois.
Pourquoi ce soutien du NPD, est-il inconditionnel, quelles en sont les significations et surtout les retombées aussi bien sur l’échiquier politique canadien que sur le Premier ministre lui-même?
Ce sont quelques interrogations auxquelles nous tenterons d’apporter des éléments de réponse pour essayer de comprendre et de cerner les contours d’une alliance qui n’atteint pas le palier de coalition.


- Mesures sociales


Le 22 mars dernier, Trudeau avait fait une annonce qui avait surpris plus d’un sur le moment, mais qui, paradoxalement, était dans l’air lors de la campagne électorale des législatives de septembre dernier.
Trudeau a annoncé un Accord appelé depuis « de confiance et d’approvisionnement » avec le NPD, qui s’engage, de son côté à voter les budgets présentés par le gouvernement libéral minoritaire, ainsi que d’appuyer le bloc libéral lors des votes de confiance, et ce jusqu’à 2025.
Rappelons que le Parti Libéral, conduit par Trudeau depuis 2012, a remporté les élections législatives de 2021 mais sans pour autant obtenir de majorité absolue (160/338). Les Libéraux sont talonnés par les Conservateurs avec 119 députés, et le Bloc Québécois vient compléter le podium avec 32 députés tandis que le NPD est quatrième à la faveur des 25 sièges gagnés.
En contrepartie de ce soutien, le gouvernement libéral de Trudeau s’engage à initier et à concrétiser une série de mesures et de lois à caractère social, chères au NPD, une formation politique à dominante sociale-démocrate et considérée par de nombreux observateurs comme ancrée à gauche.
Ces mesures touchent, notamment, l'amélioration de l'accès aux soins de santé, le lancement d'un régime universel d'assurance médicaments, la création d'un régime de soins dentaires pour les Canadiens à faibles revenus et la mise en place de mesures pour rendre le logement plus abordable.
L’Accord dispose aussi d’une matrice financière, s’agissant de la réduction des subventions accordées aux sociétés pétrolières et gazières ainsi que l’imposition d’une taxe supplémentaire sur les profits des grandes banques et des compagnies d’assurance.
Cet accord permettra, selon les propres dires du Premier ministre Trudeau, victorieux de son troisième scrutin depuis 2015, de « gouverner, en ces temps incertains, avec prévisibilité et stabilité, de présenter et d’exécuter des budgets et de faire avancer les choses ».
En termes moins policés et plus politiciens, l’alliance avec les Néo-démocrates, laquelle alliance n’a pas atteint le stade de coalition gouvernementale ou électorale, permettra à Trudeau d’avoir les coudées franches pendant les trois dernières années, tout en étant à l’abri des assauts qui seront lancés contre son gouvernement par les Conservateurs et les Bloquistes, deux partis qui totalisent à eux deux 151 voix, soit une menace sérieuse pour faire tomber un gouvernement minoritaire.
Cependant, et au-delà de la stabilisation de la scène politique canadienne, d’ici la prochaine joute électorale, cet accord aura un impact sur l’avenir proche et post-2025 de Trudeau.
En effet, Justin Trudeau parviendra, à la faveur de l’Accord de confiance et d’approvisionnement à rester au pouvoir, trois ans de plus, pour clore, à l’automne 2025, une décennie à la tête du pays de l’érable.
Même si Justin Trudeau décide de ne pas se présenter ou s’il se voit dépassé dans son propre camp, il aura au moins passé, en 2025, dix ans au 24, promenade Sussex, résidence des Premiers ministres canadiens.
Selon certains observateurs, la nouvelle étoile filante des Libéraux n’est autre que l’actuelle vice-première ministre et ministre des Finances, et auparavant détentrice du portefeuille des Affaires intergouvernementales et cheffe de la diplomatie canadienne, Chrystia Freeland, cette cheville ouvrière du gouvernement actuel, et architecte du Budget avec ses multiples mesures phares aux plans fiscal et social.


- Le Club des cinq


Indépendamment de cette évolution, Trudeau, né sous une bonne étoile, un certain 25 décembre, est quasiment assuré, sauf bouleversement majeur, à clore ses dix ans au faîte du pouvoir, pour ainsi joindre un cercle très fermé constitué d’un club de cinq Premiers ministres qui ont passé plus de dix ans à la primature, dont son père.
Ce club des cinq est composé de William Mackenzie King, qui comme son nom l’indique, a « régné » à la tête du Canada pendant plus de 21 ans, dont treize ans sans interruption, de 1935 à 1948.
Le détenteur de ce record absolu est suivi de John Macdonald, Premier ministre du Canada qui a gouverné pendant environ 18 ans fractionnés en plusieurs mandats.
Le troisième membre de ce club des cinq n’est autre que le père de l’actuel Premier ministre, l’emblématique Pierre Elliot Trudeau, qui a marqué de son empreinte la vie politique canadienne durant la deuxième moitié du siècle écoulé. Décédé en 2000, Trudeau père a gouverné pendant quinze ans environ (1968 à 1979, 1980-1984).
Le quatrième compère de ce groupe de privilégiés est Wilfrid Laurier, premier québécois et francophone à tutoyer les cieux du pouvoir canadien en occupant le poste de Premier ministre pendant quinze ans d’affilée, soit de 1896 à 1911.
Last but not least, c’est Jean Chrétien, 20ème Premier ministre du Canada, encore en vie (88 ans) qui vient clore la liste, lui qui est resté au pouvoir pendant 10 ans et 38 jours, soit de 1993 à 2003.
Justin Trudeau, qui intégrera ce club sauf surprise, parviendra-t-il cependant à laisser son empreinte dans l’histoire du Canada à l’instar de ses prédécesseurs ?


* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.