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AA / Istanbul
Au cours des derniers jours, nous avons assisté à des débats sur le devenir de l'Ukraine et si ce pays se transformera en un nouvel Afghanistan pour la Fédération de Russie.
Cette hypothèse implique que les États-Unis d'Amérique et l'Occident veulent enliser Moscou dans une guerre, qui se poursuivra des années durant, afin d'user ses forces, comme cela s'était produit avec l'ex-URSS en Afghanistan.
La même approche estime que la Russie de Poutine a commis une lourde erreur stratégique en s’enlisant dans ce piège occidental, comme ce fut le cas avec l'Union soviétique auparavant.
- La Russie n'est pas seule
L'attaque russe contre l'Ukraine rappelle l'occupation par l'Union soviétique de l'Afghanistan, et ce à plusieurs niveaux. Le monde assiste actuellement à une polarisation comme cela fut le cas en 1979, après l'occupation soviétique de l'Afghanistan.
En 1980, l'Assemblée générale des Nations unies avait condamné l'occupation soviétique de l'Afghanistan, de même qu'elle l’a fait, le 2 mars écoulé, s'agissant de l'attaque russe contre l'Ukraine.
Toutefois, une série de divergence différencient les deux situations. En effet, lors de l'époque soviétique, 108 pays avaient condamné l'occupation, alors que 18 Etats socialistes l'avaient soutenu et 12 autres s'étaient abstenus. Ainsi, nous pouvons dire que l'URSS était isolée du monde, à l'exception des États membres du Pacte de Varsovie.
Alors que lors du vote qui a eu lieu le 2 mars 2022, 35 pays s'étaient abstenus mais avaient préféré afficher une position de neutralité.
Parmi ces pays figurent des Etats majeurs aux plans politique et économique, à l'instar de la Chine, de l'Inde et du Pakistan, dont le nombre des habitants représente près de la moitié de la population mondiale.
Il est remarquable que la Chine et le Pakistan, qui avaient condamné l'occupation par l'Union soviétique de l'Afghanistan en 1980 et appuyé les combattant afghans, n'ont pas voté contre la Russie cette fois-ci.
De même, et pour la première fois depuis plusieurs années, New Delhi et Islamabad se retrouvent dans le même camp, et cela pourrait être expliqué par le fait que la Russie d'aujourd'hui n'est pas seule et isolée comme l'avait été l'ex-URSS.
- Des sanctions similaires
Les sanctions qui ciblent actuellement des sportifs, des artistes, des hommes d'affaires et des oligarques ressemblent au boycott des Olympiades de Moscou, en 1980 à l'époque de l'ex URSS, de même qu'il existe une similitude en termes d'exagération par les médias occidentaux des pertes essuyées par les Russes.
Les médias occidentaux exagéraient en rapportant les pertes militaires de l'ex-URSS en Afghanistan. Rappelons que ces médias avaient indiqué que dix mille soldats avaient péri au cours du premier mois de la campagne soviétique, alors qu’il se dégage des documents qui ont été dévoilés plusieurs années après, que ces chiffres étaient énormément exagérés.
Nous assistons aujourd'hui à des allégations similaires, lorsque ces médias rapportent que Moscou a perdu 14 mille soldats, 500 chars, 500 blindés et 90 avions de chasse. Certains médias prétendent même que 15% de l'armée russe a été anéantie.
Après l'occupation soviétique de l'Afghanistan, l'Occident avait apporté un soutien militaire de premier plan, en termes d'armes, de munitions, et d'équipements aux combattants en Afghanistan, Aujourd'hui, les forces ukrainiennes et les unités militaires paramilitaires remplacent ces Moujahidines et bénéficient d’un appui militaire occidental.
De même, l'Occident montrait à son opinion publique les aspects positifs uniquement de ces Moujahidines et réédite la même chose avec les dirigeants ukrainiens présentés comme étant des héros.
Entre 1979 et 1989, le Pakistan était le centre d'appui militaire fourni par l'Occident et les États-Unis aux Moujahidines afghan, de même que c'était le pays qui a accueilli la première vague de migrants afghans en ouvrant ses portes aux réfugiés.
La Pologne assure aujourd'hui ce même rôle, mais il reste à savoir si elle se contentera du rôle d'accueil des réfugiés ou si un autre rôle lui sera dévolu pour soutenir la résistance armée en Ukraine.
- La géographie : Une différence majeure
Le principal élément qui doit être examiné pour savoir si l'Ukraine deviendra un nouvel Afghanistan ou pas consiste en ce gap qui sépare les deux situations et les caractéristiques géographiques qui font la différence.
Alors que l'Afghanistan se caractérise par une nature montagneuse et un terrain accidenté, la majeure partie du territoire ukrainiens est constituée de plaines. Le terrain accidenté et la nature montagneuse font partie des principaux facteurs qui ont impacté sur le déroulement de la guerre de l'ex-URSS en Afghanistan.
En effet, la géographie a limité la liberté d’action de l'armée soviétique ainsi que sa capacité à se mobiliser et à se déplacer d'un point à un autre, tout en fournissant un avantage remarquable aux combattants armés, en leur permettant d’opter pour les attaques-éclair et de se protéger dans les grottes et les montagnes.
C’est pour cela que les Moujahidines ont préféré éviter d’affronter les forces soviétiques dans les villes, en les provoquant et en les enlisant dans les zones montagneuses et rurales. Aucun accrochage n’a quasiment eu lieu dans les villes et les combats se sont transformés en une guerre d’usure qui s’est poursuivie pendant des années.
A l’opposée de l’Afghanistan, nous constatons que la guerre en Ukraine, qui se déroule sur un terrain plat avec des voies rapides développées, a atteint les abords des villes avant que le premier mois ne s’écoule depuis l’éclatement du conflit. Au cas où les négociations n’aboutissent pas à l’arrêt des combats, ce sont les affrontements de rues et dans les quartiers urbains, qui définiront le sort de la guerre.
- Liens historiques et culturels
Parmi les différences importantes figurent également les liens historiques et culturels étroits tissés entre les peuples ukrainien et russe, lesquels liens n'existaient pas entre les Soviétiques et les Afghans.
L'occupation en Afghanistan n'a été soutenue que par une minime partie qui ne dépasse pas 10% de la population des villes, alors que 20% des habitants de l'Ukraine ont des origines russes.
Certes, il n'est pas judicieux d'avancer que la minorité russe en Ukraine est favorable à l'attaque russe, mais les liens étroits établis entre les deux pays, aux niveaux culturel, historique et religieux font partie des principales différences entre les deux situations.
Notons que des critiques émanaient souvent de l'opinion publique russe concernant la guerre en Afghanistan et des interrogations quant à sa légitimité alors que cela n'a pas été le cas face au conflit en Ukraine.
La Russie considère des régions à l'intérieur de l'Ukraine, telles que Odessa, Sébastopol et le Donbass comme étant un héritage historique depuis l'ère soviétique, alors que l’ex-URSS faisait face à des difficultés pour convaincre son peuple quant à la légitimité d’occuper l'Afghanistan.
Le président russe aujourd'hui bénéficie de l'appui de son opinion publique en véhiculant des théories nationalistes qui défendent le fait que ces zones faisaient partie auparavant du territoire russe.
Parmi les autres allégations véhiculées par Poutine pour conférer une légitimité à son attaque est le fait de dire que les néo-nazis en Ukraine ciblent et oppressent les minorités russes et le Parti communiste russe, la deuxième principale formation politique dans le pays, a mis sur la table cette allégation pour la première fois.
C'est ce même parti également qui avait reconnu l'indépendance des régions de Lougansk et de Donetsk et fait partie des principaux soutiens à la guerre contre l'Ukraine après le parti au pouvoir.
De même, la guerre est soutenue par des dirigeants de l'extrême droite qui ont un poids dans l’échiquier politique russe, tel que Vladimir Jirinovski, dans la mesure où la quasi-majorité du pays soutient la guerre contre l'Ukraine, à l'exception des libéraux qui ne représentent que 10% dans l'équation politique en Russie.
Ainsi, les points de vue véhiculés par les médias occidentaux, en vertu desquels la guerre a renforcé la place de l'opposition russe face à Poutine, ne reflètent pas la réalité.
Parmi les principales différences également entre la guerre soviétique en Afghanistan et l'attaque russe contre l'Ukraine, énumérons le nouvel ordre mondial actuel qui est tellement différent de l'ordre bipolaire qui prévalait en 1980.
À l'opposé de l'ordre bipolaire qui comportait deux pôles isolés l'un de l'autre, nous évoluons aujourd'hui sur fond d’un ordre mondial, au sein duquel s’enchevêtrent et s’entrecroisent les différents pays, économiquement notamment.
En 1980, l’ex-URSS représentait 10% de l'économie mondiale. Cette quote-part pourrait atteindre les 15% si on y ajoute les États membres du Pacte de Varsovie.
Cependant, l’Union soviétique avait une économie fermée et n'était pas basée sur les exportations et les l'importations.
Ainsi, l'Union ne comptait pas sur des échanges économiques mutuels avec les autres pays.
Aujourd'hui, et bien que la Fédération de Russie ne représente que 2% de l'économie mondiale, il n'en demeure pas moins que plusieurs pays occidentaux comptent sur ce pays en matière d'énergie et de nourriture. Ainsi, la poursuite de la guerre pendant 10 ans en Ukraine aura des retombées des plus dangereuses sur l'économie mondiale.
De même, et compte tenu du positionnement géographique et de la place de l'Ukraine dans le secteur agricole mondial, l’Occident ne renoncera pas et n’abandonnera pas facilement l’Ukraine, comme il l'avait fait avec l'Afghanistan, et le maintien d’une situation instable en Ukraine pendant plusieurs années aura des impacts directs sur les pays européens.
A la lumière de ce qui précède, on constate qu’il n’est pas envisageable que le conflit en Ukraine s transforme en une guerre d’usure qui se poursuivra plusieurs années comme cela fut le cas en Afghanistan.
*Rahimullah Farzam, expert politique au Centre des Études iraniennes IRAM
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