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Les coulisses de l’implication de Dahlan dans les assassinats au Yémen (Reportage)

-Stock White: Nous détenons « des preuves attestant que les Émirats Arabes Unis ont perpétré des crimes de guerre au Yémen, notamment, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires ainsi que le recours à des mercenaires ».

Hatem Kattou  | 14.02.2020 - Mıse À Jour : 14.02.2020
Les coulisses de l’implication de Dahlan dans les assassinats au Yémen (Reportage)

Istanbul

AA / Istanbul

Le cabinet d’’avocats international, « Stock White » a demandé, mercredi, d’octroyer une commission rogatoire internationale aux États-Unis, au Royaume-Uni et à la Turquie pour arrêter des responsables émiratis accusés d’avoir commis des crimes de guerre au Yémen.

Le cabinet (basé à Londres) a relevé, au cours d’une conférence de presse, qu'elle détient "des preuves que les Émirats arabes unis avaient commis des crimes de guerre au Yémen, notamment des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires et le recours à des mercenaires".

Par ailleurs, le cabinet d’avocats a indiqué dans un communiqué de presse publié qu’elle a fourni des preuves, aux services de la police de Londres, au département américain de la Justice et au ministère turc de la Justice, attestant que les Emirats Arabes Unis ont commis des crimes de guerre et de torture au Yémen.

Cela intervient à la suite d’une vague qui a commencé, il y a plus de deux ans, et qui se poursuit encore, vague visant à lever le voile sur les coulisses de nombreux « mystérieux crimes et tentatives d'assassinat" au Yémen, dont les auteurs n'étaient pas connus à l'époque.

Cependant, une enquête d’investigation américaine a présenté une série de preuves qui attestent que les Émirats Arabes Unis étaient à l'origine de ces crimes par le biais de son plus célèbre acteur dans la région, le dirigeant limogé du Mouvement palestinien du Fatah, Mohamed Dahlan.

** Le recours aux mercenaires

Au mois d’octobre 2018, le site américain "BuzzFeed » avait révélé que les Émirats Arabes Unis avaient accordé le rôle de médiation à Mohamed Dahlan pour s’engager avec la compagnie de sécurité privée américaine "Spire Operation", composée d'anciens soldats des Forces spéciales américaines, en vue de former un peloton de mercenaires qui a pour mission d'assassiner des personnalités politiques et religieuses proches du parti yéménite d’al-Islah (La Réforme).

Citant Abraham Golan, ancien chef du programme des assassinats de l’équipe de mercenaires engagée par les Emirats Arabes Unis au Yémen et un contractuel sécuritaire israélo-hongrois, le média « BuzzFeed » a souligné que "le programme d'assassinats ciblés au Yémen a été mis en place à l’initiative des Emirats Arabes Unis", et ce par le truchement de Mohammad Dahlan.

Décrit comme étant un candidat potentiel de l'Autorité palestinienne (AP) à la Présidentielle Dahlan a été accusé par l’AP en 2007 de corruption et Hamas l'a accusé de collaboration avec Israël et les services de renseignement américains et Israël.
Dahlan a fui aux Emirats Arabes Unis et se serait reconverti en conseiller en chef du prince-héritier des Emirats, Mohammed bin Zayed Al Nahyan, réputé pour être « l’homme fort de Abu Dhabi ».

Le recours des Émirats Arabes Unis à des compagnies américaines militaires privées "mercenaires" fait la lumière sur plusieurs développements que connaissent les guerres et les conflits actuels, dont le plus important demeure la transformation du mode classique des guerres qui visait la destruction des bases aériennes ou les arsenaux d’armes, en l’assassinat de personnalités désignées, dans une méthode qui ressemble plus au style suivi dans le domaine du crime mondial organisé, toujours selon le site « BuzzFeed ».

Le site révèle également la privatisation des guerres et un plus grand recours par les Etats à des compagnies privées. Ces compagnies ont créées après le retour de milliers des éléments des forces spéciales américaines d’Irak et d’Afghanistan pour lancer ces sociétés au lieu de se retirer de toute action militaire, étant expérimentés dans le domaine.

"BuzzFeed » a rapporté qu'un officier émirati a fourni aux mercenaires une liste de personnes à assassiner, dont 23 membres du parti d’al-Islah et des religieux. Ces mercenaires ont également reçu 1,5 million de dollars par mois parallèlement à des récompenses spécifiques à chaque opération d’assassinat réussie.

C’est dans ce cadre que le journaliste Abdullah Suleiman Abdullah Deblah, l'une des victimes représentée par le cabinet d'avocats "Stock White", a déclaré avoir "échappé à un attentat à la bombe visant le bâtiment du parti d’al-Islah à Aden en 2015".
Il a ajouté: "C'est Mohamed Dahlan qui a donné l’ordre d’attaquer ».

De son côté, Adel Salem Nacer Meftah, une autre victime dans la même affaire, a indiqué avoir été torturé "dans un centre contrôlé par les Emirats", relevant que d'autres personnes ont également subi des tortures dans le même centre.

Pour sa part, Gulden Sunmez, une avocate turque, a déclaré au cours de la conférence de presse animé par le cabinet d'avocats, qu’elle a "représenté deux victimes yéménites, actuellement réfugiées en Turquie ».

Elle a ajouté: que "le prince-héritier des Emirats Arabes Uni (Mohamed bin Zayed) et d'autres responsables et soldats émiratis étaient parmi les auteurs de crimes".

Sunmez a souligné, aussi, qu’elle dispose de "preuves suffisantes" qui prouvent l'implication de Dahlan dans les tueries au Yémen par le groupe de mercenaires.

** Spire Operation : le bras des Emirats au Yémen

Abraham Golan a affirmé au site "BuzzFeed" en octobre dernier que l'accord qui avait amené des mercenaires américains à Aden "avait été conclu lors d'un déjeuner dqui a eu lieu dans un restaurant italien du mess des officiers d'une base militaire émiratie à Abu Dhabi, avec comme hôte Mohamed Dahlan.

« Spire Operation » se présente sur son site électronique comme une « compagnie de sécurité américaine privée, qui fournit une panoplie de services militaires et de sécurité depuis la formation au tir jusqu’à la protection de responsables et d’hommes d'affaires, en passant par l'utilisation de drones et des services de sécurité numérique dans les technologies de guerre électronique ».

Malgré cela, la loi américaine ne criminalise pas explicitement les activités militaires privées ni l'emploi franc et direct de citoyens américains comme mercenaires.

Il est permis aux Américains de servir dans des armées étrangères. Plus d'un millier d'Américains ont servi d’ailleurs dans l'armée israélienne, en plus d'autres dans la Légion étrangère française. Par conséquent, une problématique juridique se pose pour surmonter la « zone » grise dans laquelle ces entreprises sont actives.

La Cour de cassation britannique avait rendu un précédent jugement en juin 2019 condamnant le gouvernement de Londres pour violation de la loi, après avoir équipé en armes le Royaume d'Arabie Saoudite, après que des militants des droits de l'Homme aient démontré l'implication d'armes anglaises dans des crimes de guerre au Yémen.

Néanmoins, cette décision ne signifiait pas que le Royaume-Uni cesserait d'armer l'Arabie saoudite, qui est le pays qui achète le plus d'armes britanniques, dès lors que de nombreuses problématiques juridiques pourraient entraver à l’aboutissement d’un jugement de cette ampleur.

Par conséquent, il est difficile, à titre d’exemple, que des actions en justice conduisent actuellement à l'introduction d'articles dans la loi américaine interdisant et criminalisant la participation de tout citoyen américain à des activités mercenaires, ou que la Cour de cassation britannique ordonne à son gouvernement de cesser d'exporter des armes vers les Émirats Arabes Unis ou à l'Arabie saoudite, en dépit des revendications de militants des droits de l’Homme.

Par conséquent, mentionner dans la plainte judiciaire déposée par le cabinet « Stock White » d’octroyer une commission rogatoire internationale aux États-Unis, au Royaume-Uni et à la Turquie, pour arrêter des responsables émiratis accusés de crimes de guerre au Yémen pourrait accroître les chances d’amissibilité de la plainte au plan juridique.

Tout cela survient à un moment où la guerre au Yémen, menée par une coalition dirigée par l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis depuis mars 2015 a fait plus de 17000 morts et blessés, dont environ le quart des victimes des raids aériens sont des femmes et des enfants parmi les civils.

La guerre au Yémen a également abouti à la sous-alimentation de plus de 20 millions de Yéménites, dont au moins la moitié soufre de famine, selon le rapport de l’organisation mondiale de « Human Rights Watch » (HRW).

Les Emirats Arabes Unis n'ont publié aucun commentaire officiel au sujet de ces accusations, tandis que la CIA a déclaré « ne disposant d’aucune information sur un programme d'assassinats mené par des mercenaires au Yémen", et ce malgré le fait que des experts aient suggéré au site Internet "BuzzFeed » qu'il était extrêmement difficile pour les États-Unis d'Amérique de ne pas être au courant.

Il convient de noter que ce sont les États-Unis qui ont formé l'armée émiratie et que la compagnie « Spire Operation » est composée de plusieurs anciens éléments professionnels de l’armée américaine.

Cette action en justice est susceptible d'entraîner un plus grand recours des Émirats Arabes Unis aux cabinets d’avocats internationaux pour faire face à cette plainte en cas de son admission.

En plus des cabinets d’avocats, Abu Dhabi va recourir aux sociétés de relations publiques américaines, dont les Émirats et l'Arabie Saoudite, sont les plus grands pays du monde à financer et à conclure des accords avec ce type de sociétés.

Le "Groupe Harper" fait partie de l’une des principales compagnies américaines ayant reçu un financement émirati supérieur à 10 millions.
Basée dans la capitale américaine Washington, ce groupe dispense, entre autres prestations, la gestion des crises et des scandales qui affectent ses clients dans des environnements à haut risque, selon ce que la société annonce sur son site électronique.

Les sociétés de propagande et les cabinets d’avocats américains réussiront-ils à protéger, à nouveau, les Émirats Arabes Unis pour leur éviter de faire face aux responsabilités internationales qui sont les leurs en matière de crimes de guerre qui leur sont imputés?

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