Le Hamas et le nécessaire numéro « d’équilibriste » entre les axes (Analyse)
- Le Hamas maintient de bonnes relations avec l’Iran et le Hezbollah, tout en préservant de meilleurs liens avec des pays sunnites, à l’instar du Qatar et de la Turquie, à l’opposé de l’autre axe sunnite.

Gazze
AA / Ramallah (Cisjordanie occupée) / Awadh Rajoub
Le débat sur l’avenir des relations du Mouvement de la Résistance islamique Hamas avec l’Iran et la Syrie a refait surface après les déclarations faites, récemment, par le chef du Mouvement Ismaël Hanieyh, et l’un de ses principaux dirigeants, Oussama Hamdan.
Haniyeh a adressé, au cours d’une allocution prononcée, vendredi dernier, ses remerciements à « l’Iran, qui a offert des fonds, des armes et un appui considérable au peuple palestinien dans sa brave lutte contre l’entité sioniste d’occupation ».
De même, Oussama Hamdan, dirigeant de premier plan du Hamas, a salué la position du président syrien, Bachar al-Assad. Dans une interview télévisée accordée, jeudi dernier, à la chaîne d’informations « al-Mayadeen », Hamdan a relevé que « la position d’al-Assad qui appuie la Résistance n’est pas étrange ni surprenante ».
« Celui qui nous salue, nous lui rendons les salutations, et il est naturel que les relations avec Damas soient rétablies comme auparavant », a-t-il ajouté.
Ces déclarations ont suscité la colère de certains sympathisants et soutiens du Mouvement qui rejettent tout rapprochement avec Téhéran et le Régime de Bachar al-Assad, compte tenu des crimes qu’ils ont commis en Syrie.
D'autres estiment, toutefois, que le Mouvement est obligé de normaliser ses relations avec les deux régimes, dans la mesure où il a besoin d’un appui politique et matériel, au vu, notamment, de l’hostilité qu’affiche l’axe arabe conduit par l’Arabie Saoudite.
- Des relations enchevêtrées
L’expulsion collective par Israël des éléments et des dirigeants du Mouvement Hamas des Territoires occupés vers le Sud du Liban en 1993, a représenté un changement qualitatif dans les relations arabes et régionales du Mouvement et dans son ouverture sur le monde, d’autant plus que l’organisation libanaise du Hezbollah a été parmi ceux qui ont prêté main forte aux éléments expulsés, compte tenu de la proximité.
Plus tard, le Hamas s’est activé dans la capitale jordanienne, Amman, avant que le royaume hachémite n’expulse quatre de ses dirigeants vers le Qatar, dont Khaled Mechaal, qui était à l’époque chef du Mouvement. La relation du Hamas avec le Qatar a préservé jusqu’à aujourd’hui son cachet distingué mais n’a pas été normalisée avec la Jordanie en dépit de quelques percées passagères imposées, entre autres, par les développements politiques survenus dans la région.
Le Mouvement a, par la suite, renforcé ses liens avec le régime syrien, et par conséquent l’Iran, en installant son siège à Damas. Toutefois, l’enclenchement de la révolution syrienne en 2011 a amené les dirigeants du Hamas à quitter Damas pour s’établir, en partie, au Qatar et en Turquie.
Au fil de la multiplication des développements et des dossiers dans la région, la relation du Hamas avec les différents pays et partenaires est devenue plus complexe et fait partie désormais du jeu des axes mis en place pour diverses considérations, bien que le Mouvement se soit soucié à garder un certain équilibre et à osciller dans ses relations, au service de la Cause palestinienne, selon les déclarations faites par ses dirigeants.
Le Hamas maintient de bonnes relations avec l’Iran et le Hezbollah, malgré l’impact des évènements en Syrie sur ces relations, tout en préservant de meilleurs liens avec des pays sunnites, à l’instar du Qatar et de la Turquie, à l’opposé de l’autre axe sunnite composé de la Jordanie, de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte.
- Aide sans conditions ou positions politiques
Aymen Dharaghma, député du Hamas au Conseil législatif dissous, a souligné qu’un « peuple sous l'occupation, y compris les mouvements de libération nationale, qu'il s'agisse du Hamas ou d'autres mouvements, ont intérêt à établir des relations avec l'ensemble des Etats, des forces, des mouvements et des partis politiques ».
« A condition, a-t-il nuancé, que ces Etats et forces soient prédisposés à offrir des aides sans conditions, au plan politique national et sans impact négatif sur l'intérêt national palestinien ».
Dans un entretien accordé à l'Agence Anadolu, Dharaghma a déclaré : « La relation est possible. Même avec l'Occident et les Etats-Unis, rien n'empêche que ce genre de liens soit établi mais, les Américains et les Européens posent des préalables à cela ».
L'ancien parlementaire a estimé que « la relation du Hamas avec l'Iran s'inscrit dans le cadre de la demande de soutien et d'aide. Il s'agit d'un projet islamique national cohérent avec la nature et les impératifs de l'étape ».
S’agissant de la relation avec la Syrie, le député établit un distinguo entre deux éléments : « Une dimension interne avec son lot de crimes perpétrés contre le peuple syrien et une dimension externe, en tant que pays voisin ».
Il a rappelé que le Hamas a tenté de « jouer un rôle de médiateur et de résoudre la crise interne syrienne dès le début ».
« Nous avons conseillé au régime (syrien) d'ouvrir des canaux de dialogue avec l'opposition et les Mouvements d'obédience islamique. Ainsi, la position du Hamas a toujours été cohérente avec ses principes », a-t-il indiqué.
Il a, cependant, ajouté que la Syrie « est un pays très important pour le Hamas d’un point de vue géopolitique et stratégique, en tant que pays voisin, à l'instar de l'Égypte, de la Jordanie et du Liban, dans la mesure où ces pays représentent la voie d'accès et d’ouverture sur le monde », rappelant également l'histoire de la Syrie dans l'accueil et le soutien des factions de la Résistance.
L'ancien député ne constate « aucune contradiction entre l'amélioration de la relation avec la Syrie et la position au sujet des événements internes qui ont secoué ce pays ».
En contrepartie, il a tenu à préciser que « le Hamas est intéressé par l'identification d'autres capitales prédisposées à traiter avec lui et à ouvrir leurs portes, en particulier, compte tenu d'un blocus international imposé aux Mouvements d’obédience islamique, blocus conduit par les Etats-Unis et l'Europe et certains pays arabes qui collaborent avec eux ».
- Soutien direct et équilibre entre les axes
A son tour, l'observateur palestinien établi à Jérusalem, Racem Obeidet a estimé que « la Direction du Hamas s'oriente vers la normalisation de ses relations avec l'axe Iran-Syrie-Hezbollah, au vu du soutien direct qui lui a été apporté par cet axe, au cours de la dernière agression contre la Bande de Gaza ».
La même source a tenu à rappeler que « certains pays sont allés très loin dans la normalisation avec l'occupation ».
Obeidet a ajouté que « si le Hamas se veut fort, il se doit de recourir à cet axe, d’autant plus que la majorité des armes utilisées lui ont été fournies par cet axe ou ont été développées par des experts et des spécialistes qui y appartiennent ».
Les déclarations du chef du régime syrien, Bachar al-Assad, qui a indiqué que la Syrie demeurait ouverte à l'ensemble des factions de la Résistance, sont considérés par Obeidet comme étant « un signal en vertu duquel le régime de Damas est prêt à rétablir les relations avec le Hamas comme auparavant ».
L'analyste palestinien estime que « ce rapprochement n’impactera pas sur la relation du Hamas avec des pays sunnites, tels que le Qatar et la Turquie, dès lors que le Mouvement implanté à Gaza sait manœuvrer pour garder l'équilibre entre les axes, son objectif étant de s'attirer les faveurs de toutes les parties au service de la Cause palestinienne ».
Généralement, la Turquie joue un rôle politique majeur dans le soutien à la Cause palestinienne dans l'ensemble des instances internationales, parallèlement à l'envoi d'aides et de contribution à la consolidation de l'infrastructure de plusieurs secteurs de services, au profit du peuple palestinien aussi bien dans la Bande de Gaza que dans la Cisjordanie occupée.
Alors que la branche militaire du Mouvement Hamas s’oriente vers un parti pris en faveur de l'axe iranien au détriment des autres axes, compte tenu de ses besoins en armes, le rôle de la Direction politique au Qatar et en Turquie consiste à préserver l'équilibre sur le plan politique, selon Obeidet.
Le Hamas souhaite, selon l'expert, « préserver une bonne relation avec tous les pays sunnites. Cependant, un grand pays comme l'Arabie Saoudite pourchasse les sympathisants du Mouvement, ce qui le pousse à traiter avec l'Iran ».
Il a ajouté que « la relation avec l'Arabie Saoudite demeura en l'état, tant que le Hamas maintiendra ses liens avec l'Iran ».
Le Hamas a annoncé dans de précédents communiqués que l'Arabie Saoudite a interpellé, depuis 2019, quelque 60 Palestiniens parmi ses membres et sympathisants, dont son ancien représentant à Riyad, Mohamed al-Khoudhari.
- Le renforcement des liens avec l'Iran divise les sympathisants du Hamas
De son côté, Khaled al-Amayra, journaliste spécialiste dans les affaires iraniennes et les mouvements d'obédience islamique, a souligné qu'il était « possible de comprendre que les relations des factions palestiniennes avec l'Iran se limitent aux remerciements compte tenu du soutien apporté par Téhéran à la Résistance ».
Cependant, le journaliste ne voit « aucune autre justification pour le développement de cette relation », estimant que « si les remerciements font partie d'un phénomène, d'un mouvement ou d'un programme pour rétablir les liens avec l'axe chiite sectaire, cela fera l'objet d'une scission dans la Rue palestinienne ».
Al-Amayra a ajouté que « la Rue palestinienne, en particulier, les sympathisants d'obédience islamique, sera exploitée par les adversaires politiques et idéologiques du Hamas, à l'instar du parti al-Tahrir, des groupes salafistes et de l'Autorité palestinienne ».
Il est fort probable, selon notre interlocuteur, que l'OLP se mobilise pour rejeter toute mesure de ce genre afin d’obtenir en contrepartie des récompenses de la part de l'axe saoudien et des pays qui font partie de cet axe, ce qui constituera un élément extrêmement dangereux ».
L'analyste palestinien préfère « attendre pour constater la capacité du Hamas à faire montre d'équilibriste », estimant que « Haniyeh s'est retenu dans son allocution et ne s'est pas autorisé à aller plus loin ».
Al-Amayra a tenu à réitérer que « les remerciements et les salutations peuvent être comprises dans la mesure où l'Iran a aidé les Mouvements de la Résistance ».
Cependant, a-t-il poursuivi, « remercier l'Iran ne doit pas aboutir à un changement dans la position de neutralité adoptée par le Hamas ou à un retour au régime sectaire de Bachar al-Assad via l'Iran ».
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou