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Tunisie : La culture, une « activité » pour les riches ?

« La culture ne représente pas plus de 0,8% du budget de l’Etat ce qui ne permet évidemment pas de créer des projets culturels accessibles et consommables par tous» (cinéaste)

Slim Jerbia  | 19.06.2017 - Mıse À Jour : 19.06.2017
Tunisie : La culture, une « activité » pour les riches ?

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AA/Tunis/Afef Toumi

Les Tunisiens sont d’excellents consommateurs… de tout sauf de culture. Il suffit, pour le deviner, d’observer les cafés, les espaces commerciaux et les boutiques, toujours bondés, tandis que les salles de cinéma et les espaces culturels sont, eux, bien souvent déserts.

L’ambiance est festive, en ces soirées de ramadan, dans les différentes rues de Tunis, qui ne semblent pas vouloir désemplir avant les premières lueurs du jour.

Un concert anime l’avenue Bourguiba, principale artère de la capitale. Quelques passants s’arrêtent pour observer, d’un œil curieux, la petite troupe, avant de poursuivre leur chemin vers le café le plus proche.

A quelques mètres de là, en face du Théâtre Municipal de Tunis, un autre spectacle de musique attire davantage de spectateurs. Quelques dizaines de citoyens suivent avec intérêt le concert du chanteur tunisien de Reggae, Ahmed Majri.

Haithem et Mouna, un couple de jeunes tunisiens sont ravis. « Ce n’est pas mal du tout comme spectacle. Ce n’était pas dans notre programme, nous, nous sommes plutôt venus pour le Festival de la Medina et finalement nous sommes tombés sur ce concert. Heureusement que nous avons tous les deux les mêmes goûts ! », lance Haithem à Anadolu.

Et de poursuivre : «Nous ratons rarement des

évènements culturels tels que le dernier film ou la dernière pièce de théâtre à Tunis ».

Pour tous les intéressés de culture, le ministère des Affaires Culturelles et le gouvernorat de Tunis, avaient promis et réalisé un programme « assez riche » pour le mois de Ramadan, notamment dans le cadre du Festival de la Medina.

Ce programme concerne le centre de la ville de Tunis, la Médina et les quartiers de la ville antique, a fait savoir le gouverneur de Tunis Amor Mansour, lors d’une interview accordée à Anadolu une semaine avant Ramadan.

Le gouverneur avait également annoncé que la « Kafichanta » (café chantant) reprenait son activité au quartier de Bab Souika (ville antique), après plus de 20 ans d’arrêt.

Pourtant, toutes ces initiatives ne semblent pas séduire la grande majorité de la population.

Dans le centre-ville, des passagers, venus en familles ou en groupes d’amis, ont été interrogés par Anadolu sur les programmes culturels qui les intéressent et sur leur consommation de la culture.

« Je viens rarement dans le centre de Tunis. Généralement je viens juste pour faire des courses. Aujourd’hui je suis là pour les vêtements de l’Aïd (fête marquant la fin de Ramadan) des enfants. Sincèrement, je ne suis même pas au courant du programme qu’il y a », répond Thouraya, accompagnée de son mari et de ses deux filles.

Dans l’un des cafés de l’Avenue Habib Bourguiba, un groupe de six jeunes, s’est installé ici dès 20h30 (moins d’une heure après la rupture du jeûn), de peur « de ne pas trouver de places disponibles », disent-ils.

Questionné sur le programme culturel, Seif, jeune étudiant de 23 ans, rétorque « Nous collectons quelques sous pour venir boire un café, pensez-vous qu’on irait les dépenser pour un concert de musique, une pièce de théâtre ou encore un film ? Surtout qu’aujourd’hui on trouve tout sur internet !».

En Tunisie, le désintérêt pour la culture semble généralisé. Preuve en est, les dizaines de milliers de cafés et restaurants qui peuplent le territoire alors qu’au même moment, le pays ne compte pas plus de 12 salles sur l’ensemble de son territoire (contre 114 en 1970) selon le dernier recensement.

En France, un pays où la culture compte pour 3,2% du PIB, le nombre de salles de cinéma s’élève à 5653 salles regroupées dans 2020 cinémas, selon des statistiques récentes.

Hormis les grandes manifestations culturelles et les festivals durant lesquels consommer de la culture est « tendance », il n y a guère de monde dans les espaces culturels, le reste de l’année.

« Le tunisien ne peut pas consommer culture alors qu’il ne parvient pas à combler ses besoins vitaux », estime Mohamed Ben Marzouk, un jeune cinéaste interrogé par Anadolu.

« La culture ne représente pas plus de 0,8% du budget de l’Etat ce qui ne permet évidemment pas de créer des projets culturels accessibles et consommables par toutes les catégories », poursuit-il.

« Consommer de la culture coûte cher au citoyen lambda. Prenons l’exemple d’un ticket pour une pièce de théâtre, il faut payer au moins 10 dinars (4 USD), alors que pour certains, cette somme suffit à remplir un couffin pour manger », poursuit le jeune artiste.

Pour Ben Marzouk, la consommation de la culture se limite «aux catégories plutôt aisées».

«La question qui se pose alors est si l’art est destiné à tous ou bien uniquement à ceux qui ont les moyens… », s’interroge-t-il.

« Il est évident que les gens qui parviennent à inscrire leurs enfants dans des conservatoires, des clubs de théâtre, de peinture ou de cinéma sont ceux qui ont suffisamment de moyens », ajoute-t-il.

« Il y a également un problème au niveau des maisons de culture, des lieux supposés accessibles à tous », pointe-t-il encore.

« Il n’y a pas d’effort pour meubler les clubs ou réaliser des programmes culturels constructifs pour les jeunes et pour les citoyens qui ne parviennent pas à payer pour consommer de la culture » poursuit le cinéaste.

Pour Ben Marzouk, il ne faut pas oublier que « consommer de la culture n’est pas dans les mœurs du tunisien qui préfère plutôt le divertissement ».

« Il faut d’ailleurs faire la différence entre programmes culturels et programmes de loisirs. Ce qu’on voit tous les jours dans la rue comme spectacles, fait partie des loisirs, surtout que ça se limite à de la musique », enchaîne le cinéaste.

Il est vrai que, d’après les propos recueillis, la culture est encore considérée par bon nombre de tunisiens comme domaine d’intérêt exclusif aux gens instruits, ayant les moyens pour y adhérer.

Cette idée acquise est difficile à rectifier tant que « la décentralisation de la culture » et son « accessibilité à tous », ne sont que slogans, repris autant par les professionnels du domaine que par les autorités de tutelle, qui continuent à rassurer, à promettre et à souhaiter.

« On souhaite que le budget soit renforcé pour mener à terme les réformes nécessaires et faire du secteur de la culture l’un des secteurs vitaux et un levier de la croissance économique », avait d’ailleurs récemment déclaré le ministre tunisien des Affaires Culturelles, Mohamed Zine el-Abidine.


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