Tunisie - Migration : partir en Europe, une question de vie ou de mort
- Parties depuis les côtes tunisiennes, les embarcations de fortune font naufrage quotidiennement sur les rivages de la Méditerranée, où les rêves des migrants sont enterrés à ciel ouvert.

Tunisia
AA/Tunis/Hajer Cherni
Partir est devenu le rêve de toute une génération. Des citoyens tunisiens, toutes classes sociales confondues et d'âges différents, n'ont qu'un seul souhait : arriver sain et sauf dans un pays aussi sûr que la mère patrie pour y reconstruire une nouvelle vie.
Depuis les côtes tunisiennes, les embarcations de fortune font naufrage quotidiennement sur les rivages de la Méditerranée, où les rêves des migrants sont enterrés à ciel ouvert.
Le chemin vers l'eldorado européen s'avère encore plus meurtrier que ce qu'on peut imaginer. Les migrants risquent une mort lente sur des bateaux surchargés. Assis sans faire le moindre mouvement pendant plusieurs jours, ces clandestins meurent de faim ou de soif ou encore noyés.
"Migration non réglementaire: causes, mutations, perspectives", tel était le thème de la conférence, organisée hier par le think tank Global Institute 4 transitions et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
La tragique évolution du phénomène de la migration irrégulière sur fond de crise économique et sociale, l'inaction des autorités officielles, ainsi que la politique anti-migrant en Europe, ont été au menu lors de cette conférence-débat.
* Partir en Europe: une question de vie ou de mort
Des Tunisiens de tous les milieux et de toutes les tranches d'âge, se sont retrouvés contraints à quitter leur chez eux, compte tenu du contexte politique instable et de la situation économique qui se dégrade au fil des jours.
"Changer de lieu pour améliorer sa vie et migrer vers d'autres pays est un droit dont dispose tout être humain", a indiqué le porte-parole du FTDES, Romdhane Ben Amor, à l'Agence Anadolu (AA).
Ben Amor a souligné que ceux qui mettent leur vie en danger pour arriver en Europe, sont asphyxiés par la situation politique et économique dont souffre leur pays d'origine.
Ce périple, appelé communément "Harga", est devenu un projet de famille, préparé à l'avance pendant des mois.
"Partir est le rêve commun de tout Tunisien et Tunisienne. Certains préparent ce voyage des mois avant le jour J. Ils choisissent la date et le lieu du débarquement", a-t-il dit.
Et le porte-parole de l'ONG tunisienne de noter que "des familles entières font des économies, aujourd'hui, dans l'espoir de reconstruire une nouvelle vie ailleurs".
"Pour eux, c'est le début d'une vie meilleure. Ils font tout pour y arriver. C'est une question de vie ou de mort, car il s’agit du seul moyen qui leur permettra de vivre avec dignité", a-t-il expliqué.
Dans son intervention, Ben Amor a rappelé que le nombre de Tunisiens arrivés en Italie, en 2022 a atteint 15 700 personnes, selon un rapport du FTDES partagé lors de la conférence.
Notre intervenant a expliqué en ce sens que "l'inflation, la flambée des prix et la situation politique sont la cause de ce départ tant souhaité et jamais regretté, malgré le nombre de morts qu'on déplore quotidiennement, outre, les restrictions telles que l’octroi des visas aux Tunisiens’’.
"Ce sentiment d'injustice, de mal-être et de rejet que ressentent les Tunisiens dans leur propre pays, a créé ce désir de tout quitter quelles qu'en soient les conséquences", a-t-il noté.
En effet, 2 424 mineurs ont pu risquer leur vie sciemment et réussi leur ‘’périple’’ en mer, alors que 23 517 migrants ont été interceptés par les autorités tunisiennes en 2022, d’après le FTDES.
* Zarzis lutte pour la vérité
Les embarcations de la mort continuent de faire leurs traversées de la Méditerranée malgré la tragédie de Zarzis, ville portuaire dans le sud-est de la Tunisie, qui a été témoin du naufrage meurtrier d'un bateau de migrants.
La Mare nostrum, ce cimetière à ciel ouvert, comme l'a qualifiée, l'anthropologue Valentina Zagaria ne fait plus peur. Au contraire, les migrants continuent d'emprunter le même chemin pour rejoindre le Vieux Continent.
S'exprimant à AA, Zagaria est revenue sur ce qui s'est passé à Zarzis.
"Cette convergence des luttes dont les habitants de Zarzis ont fait preuve, notamment en exigeant les tests ADN, est très importante", a-t-elle indiqué.
Ayant vécu à Zarzis pendant deux ans, l'anthropologue était témoin de la mobilisation des habitants de cette région pour révéler la vérité sur le sort de leurs enfants disparus en mer.
Interrogée à propos de la position de l’Europe vis-à-vis ce phénomène, Zagaria a expliqué : "Malgré la fermeture des frontières, les mesures rigoureuses et les sanctions sévères prises par l’Europe afin de pallier à la situation, les personnes souhaitant rallier le Vieux Continent pour y trouver refuge continuent d’affluer".
"C'est aussi une forme de lutte car, en effet, fermer les frontières fait de ce ‘’voyage’’ un délit, le migrant étant contraint de se tourner vers des moyens illégaux’’, a-t-elle estimé.
Rappelons que des corps repêchés en mer par des pêcheurs ont été inhumés sans prévenir les familles des personnes décédées, ce qui a provoqué la colère des habitants de Zarzis, selon des médias locaux.
En effet, les analyses ADN des échantillons prélevés sur quatre corps exhumés du "cimetière des étrangers" (cimetière des inconnus) à Zarzis, ont permis d'identifier trois dépouilles parmi celles qui ont été repêchées en mer, après le naufrage d'une embarcation de fortune avec à son bord 18 migrants.
* Face à l'inaction et au silence des autorités tunisiennes, pêcheurs et habitants se mobilisent
Tous les yeux sont rivés sur la ville côtière de Zarzis qui a vécu des nuits cauchemardesques après le drame.
L'inaction des autorités tunisiennes a accentué la gronde auprès des habitants qui se sont mobilisés pour réclamer l’intensification des recherches des corps de leurs proches, disparus en mer il y a un mois.
Face au silence des autorités officielles, certains ont dénoncé un "crime d’Etat", d’après ce qu’ont rapporté des médias locaux, et "essayé de mettre la pression sur le gouvernement pour qu'il dévoile la vérité sur l’affaire des disparus en mer".
"Les pêcheurs, en première ligne, sont sortis en mer pour rechercher les corps des migrants. Solidaires des familles des disparus, ils ont pris les choses en main alors que le gouvernement regarde de haut, sans la moindre réaction", a lancé la sociologue, Khaled Tababi.
Et de poursuivre : ‘’l’Etat tunisien est dans l’incapacité d'offrir une perspective et de préserver la dignité de la population. Les jeunes endurent le déni, le mépris et sont livrés à eux-mêmes’’.
Lors de son intervention, Tababi a regretté que l'immigration clandestine soit un crime au regard des politiques européennes et nationales.
"La Méditerranée est un ‘’cimetière flottant’’. Et les héros de cette tragique aventure sont des personnes qui ont ras-le-bol de leur situation", a-t-il souligné.
Selon lui, ‘’Fermer les frontières, ne résoudra jamais le problème et n’empêchera pas la Harga’’.
Et Tababi d'ajouter : "La Tunisie est en proie à une crise économique, sociale et politique (...) partir légalement ou clandestinement est devenu une question existentielle. Dans la tête des gens, vivre en Tunisie est en soi un combat".
‘’Pour eux, l’avenir n’existe plus dans ce pays ayant connu une révolution en 2011’’, a conclu le sociologue.