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Israël: les billets de la discorde

De nouveaux billets de banque suscitent la controverse au sein de la société israélienne en raison de la symbolique des portraits qu'ils représentent.

26.11.2014 - Mıse À Jour : 26.11.2014
Israël: les billets de la discorde

AA/ jérusalem/ Julie Couzinet

Le nouveau billet de 50 shekels, entré en circulation récemment en Israël, est premier d’une nouvelle série qui sera progressivement introduite jusqu'en février 2015. Les nouveaux billets comportent divers éléments devant empêcher leur contrefaçon. Leur taille, couleur, et symboles changent également ; ils arborent désormais quatre poètes: deux femmes et deux hommes, un choix, cependant, sujets à polémique. 

Shaul Tchernichovsky, Juif né en 1875 en Russie et mort en 1943 en Palestine sous Mandat britannique et choisi pour illustrer le billet de 50 shekels, avait épousé une chrétienne conservatrice. Pour le Professeur Hagai Ben-Artzi, frère de l’épouse du Premier ministre Benjamin Netanyahu, ce choix est un « outrage ».

« Shaul Tchernichovsky est devenu un symbole d’assimilation, d’une idéologie d’assimilation. Il est inconcevable qu’une telle personne, quelque importance qu’il ait en tant que poète, devienne un symbole de l’Etat d’Israël, » aurait-il déclaré selon Israel National News (repris par le quotidien israélien Times of Israel). Des organisations s’opposant aux mariages inter-religieux se sont également exprimées contre ce choix.

Le deuxième sujet de débat concerne l’origine des quatre poètes choisis, tous juifs ashkénazes d’Europe de l’Est. Leah Goldberg, pour le billet de 100 shekels, est née en 1911 en Allemagne de famille lituanienne, et morte en 1970 à Jérusalem. Elle s’est installée en 1935 à Tel Aviv - la ville est considérée comme ayant été créée en 1909. Rachel Bluwstein, pour le billet de 20 shekels, est née en 1890 en Russie impériale et morte en 1940 en Palestine où elle s’est installée en 1909 avec un groupe de pionniers sionistes. Pour finir, Nathan Alterman pour le billet de 200 shekels, est né en Pologne en 1910 et s’est installé à Tel Aviv en 1925.

Les nouveaux billets ont été dessinés par Osnat Eshel, gagnante du concours public pour la sélection du nouveau design. Les poètes ont été choisis par les autorités israéliennes : la Banque d’Israël et le Gouvernement israélien.

Pour Shula Keshet, féministe israélienne d’origine iranienne et juive mizrahi – juive du Moyen-Orient, le choix des poètes n’est absolument pas représentatif de la société israélienne.

« Nous avons écrit à la Banque d’Israël à ce sujet en 2010, lorsqu’ils ont annoncé que les images seraient changées. Nous leur avons écrit qu’il était important qu’il n’y ait pas que des hommes et qu’il y ait aussi des mizrahim représentés, » explique-t-elle à Anadolu.

Une campagne a été menée dans ce but par la coalition « Cœur à l’Est » rassemblant plusieurs groupes mizrahim, dont Ahoti – association féministe mizrahim – dont Keshet est la présidente.

« En mai 2013, nous avons publié des images de poètes mizrahim, hommes et femmes, en protestation et nous avons manifesté avec la coalition « Cœur à l’Est » devant la Banque d’Israël (…). Les billets ne nous représentent pas. Ce n’est pas démocratique de ne choisir que des Ashkénazes, » continue Keshet.

Pour elle, ce choix symbolise également les divisions économiques entre Mizrahim et Ashkénazes, la première population étant, en Israël, plus pauvre que la deuxième. D’après une étude du centre israélien Adva sur « L’équité et la justice sociale en Israël », le salaire moyen d’un travailleur ashkénaze en milieu urbain serait en effet de 42% plus élevé que la moyenne générale pour l’ensemble des travailleurs. Il ne serait que de 9% plus élevé chez les Mizrahim. « L’un des signes que nous avions durant la manifestation de 2013 disait : ‘Ashkénazes = argent, Mizrahim = pauvres’ », raconte Shula.

De nombreuses plaintes ont circulé sur les réseaux sociaux. D’après le quotidien israélien Haaretz, « Même le Premier ministre israélien s’est impliqué, suggérant le visage de Yehuda Halevy, poète sépharade – Juif originaire de la péninsule ibérique – pour le prochain dessin. »

Tous les poètes choisis sont également un clin d’œil fort au sionisme : tous se sont installés en Palestine sous Mandat britannique dans des communautés sionistes pionnières. Fortement patriote dans ses textes écrits sous Mandat britannique et lors de la création de l’Etat, Alterman a par exemple participé à la fondation du Mouvement pour le Grand Israël après la Guerre des Six jours (1967). Le mouvement appelait le gouvernement à poursuivre la colonisation des territoires palestiniens pour y implanter des communautés juives. Le parti et ses membres se sont ensuite fondus dans le Likoud, l’un des principaux partis de la droite israélienne.

Les billets qui seront bientôt remplacés comportaient Moshe Sharett, second premier ministre israélien, sur les billets de 20 shekels ; Shmuel Yosef Agnon, écrivain, sur ceux de 50 shekels ; Yitzhak Ben-Zvi, deuxième président israélien, sur les billets de 100 ; et Zalman Shazar, troisième président israélien, sur les billets de 200 shekels. Tous quatre sont également d’origine ashkénaze.

 
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