Pourquoi le Burkina Faso a dû normaliser ses rapports avec la Côte d'Ivoire ?
Des raisons économiques, politiques et stratégiques ont persuadé le Burkina Faso de revenir à de meilleurs sentiments à l'égard de son voisin

Burkina Faso
AA/ Abidjan/ Ouagadougou/ Issiaka N'Guessan/ Safwene Grira
D'un pays dont pourra "venir le danger" et où "l'on n'a pas beaucoup d'amis", selon l'ancien président de la transition burkinabè, Michel Kafando, la Côte d'Ivoire est redevenue, en un an et demi, un pays avec lequel on reconnaît volontiers ses "excellentes relations", à en croire le chef de la diplomatie du Faso, Alpha Barry, qui annonçait, dans la foulée, mardi dernier, une visite présidentielle à Abidjan à la fin du mois.
Sous-tendu par des raisons économiques, politiques et stratégiques, ce revirement n'est toutefois que la conséquence d'un rapport de force biaisé en faveur de Yamoussoukro, selon des experts interrogés par Anadolu.
"Le Burkina Faso est bien obligé de renouer le dialogue avec la Côte d'Ivoire. Il a besoin de la Côte d'Ivoire, ne serait-ce que pour stimuler son économie. Le port d'Abidjan est souvent décrit, à ce titre, comme le poumon commercial d'un Burkina enclavé", a déclaré à Anadolu Séraphin Yao Prao, économiste et Maître-assistant à l'Université Alassane Ouattara de Bouaké (Nord), contacté par Anadolu.
Pour cet universitaire, le besoin du Burkina Faso s'exprime surtout en termes de dépendance énergétique. "La Côte d'Ivoire fournit le Burkina en grande quantité de réseau électrique", a-t-il indiqué.
Dans une récente note d'analyse publié par le Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP), basé à Bruxelles, le chercheur Burkinabè Karim Abdoul Saidou, rappelait pour sa part un projet d’interconnexion électrique entre les deux pays mis en œuvre depuis avril 2001. A telle enseigne qu'en février 2016, par exemple, "la société d’électricité du Burkina, la SONABEL, informait le public à travers un communiqué des perturbations sur le réseau lié à la Côte d’Ivoire".
Par ailleurs, plus de trois millions de Burkinabè vivent en Côte d’Ivoire et "dont le labeur a puissamment contribué au "miracle" ivoirien en même temps qu’il représente, aujourd'hui encore, une source de revenus indispensable à une bonne partie de la population burkinabè", rappelait, déjà, un article de Richard Banégas et René Otayek, paru dans la revue Politique africaine en 2003.
Malgré l'intérêt que cette diaspora revêt aux yeux des Ivoiriens, des observateurs continuent à considérer que la carte des migrants peut toujours être brandie. Les précédents dans le continent ne manquent pas, à ce tire. En août 1985, des centaines de travailleurs tunisiens ont ainsi été expulsés de Libye, à la suite de tensions entre le régime de Kadhafi et celui de Bourguiba.
Une probable expulsion pèserait ainsi lourdement sur un pays fragilisé par un récent changement institutionnel, et où le taux de chômage avoisine les 7%, selon les derniers chiffres officiels. Par ailleurs, "le gouvernement court, tout de même, le risque de subir une pression politique en cas d'agression contre les Burkinabè résidant en Côte d'Ivoire, comme cela s'est déjà produit pendant la crise ivoirienne" de la dernière décennie, souligne, pour sa part, Saidou, pour qui l'aspect "contestataire" collé aux Burkinabè de la diaspora introduira, sans doute, un nouvel élément de complexité dans la donne.
Cependant, au-delà des enjeux politiques et économiques, "les deux Etats sont confrontés aux menaces terroristes", note, dans une déclaration à Anadolu, Geoffroy Kouao Julien, enseignant de droit à l'université du Magrheb à Abidjan.
En l'espace de deux mois d'écart, les attentats de Ouagadougou (15 janvier 2016) et de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire (13 mars 2016) ont fait une cinquantaine de morts. Dans ce contexte, "le réchauffement des relations va permettre à Ouagadougou et Yamoussoukro de mutualiser leurs efforts dans le cadre de la lutte contre le terrorisme."
L'impératif est d'autant plus urgent que "les deux pays partagent une frontière commune de 584 km de long et sont tous deux voisins du Mali où pullulent plusieurs groupes terroristes", rappelle l'universitaire qui ne manque pas de relever que le Burkina, enclavé et fragilisé, est plus sensible à cette coopération que la Côte d'Ivoire.
Reste à soulever "la question Compaoré". Chassé du pouvoir en octobre 2014 après une insurrection populaire, l'ancien président burkinabè était connu pour être l'homme des médiations régionales. A ce titre, et "pour arriver à mener à bien ses bons offices, il a noué, tant bien que mal, un vaste réseau intégrant toutes sortes de rébellions et de groupes armés régionaux", note, dans une déclaration à Anadolu, Arona Ndiaye, enseignant de droit à l'Université de Dakar.
"Il convient (...) d’analyser la vulnérabilité du Burkina face au terrorisme comme une conséquence objective de la chute de Blaise Compaoré", analyse Abdoul Karim Saidou, qui rejette "certaines analyses" voyant la main de Compaoré dans 'attentat ouagalais de janvier dernier. "Leur allié politique étant évincé, les terroristes n’ont aucune raison d’épargner le Burkina dont ils connaissent les faiblesses sécuritaires", explique-t-il, reconnaissant, tout de même, que si Compaoré n'était pas à l'origine des crises politiques dans lesquelles il intervenait en tant que médiateur, il jouait, selon les cas, "une fonction de catalyseur et d'acteur opportuniste" pour devenir incontournable.
Un historique soulevant des interrogations, conclut ce chercheur, sur "la présence de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire et sur ses éventuelles intentions d’influencer la politique intérieure du Burkina".
Il apparaît, en dépit de tout, que "les aspects historiques qui lient les deux pays sont si importants que la diplomatie doit permettre de surmonter les crises" conclut, dans une déclaration à Anadolu, Anicet Zran, enseignant-chercheur d'histoire à l'Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan-Cocody). "De 1932 à 1947, la Haute-Volta [ancien nom du Burkina Faso] et la Côte d'Ivoire ne faisaient, même, qu'une seule colonie. Il peut y avoir des problèmes mais ils seront vite surpassés vu les liens entre les deux peuples qui ont une longue histoire commune"
Les relations entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso s'étaient nettement détériorées deux mois après la tentative de coup d'Etat de septembre dernier, perpétrée par l'ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré, contre les autorités de la transition burkinabé.
Les Ivoiriens ont laissé présumer leur implication dans le putsch du Général Gilbert Diendéré: Un enregistrement sonore fuité et présenté comme une conversation téléphonique entre l'actuel président du Parlement monocaméral ivoirien, Guillaume Soro, et un ancien ministre de Compaoré, a affecté la relation entre les deux pays.
La justice burkinabè a aussitôt émis un mandat d'arrêt contre l'officiel ivoirien, avant de l'annuler, en avril dernier, préférant agir par le biais d'une procédure de dénonciation auprès de la Côte d'Ivoire, une option qui remet aux calendes grecs l'engagement de la moindre procédure à l'encontre de Soro. Depuis, les appels au calme, et la relativisation de ces incidents diplomatiques se sont multipliés, particulièrement de la part de Ouagadougou.
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