Politique

"La France recule en Afrique, Macron s'en prend à la Turquie et la Russie" (présidente de l'IVERIS)

"La France a perdu le Moyen-orient, elle est en train de perdre l'Afrique", a estimé la présidente de l'Institut de Veille et d'Étude des Relations Internationales et Stratégiques dans un entretien accordé vendredi à Anadolu.

Umit Donmez  | 21.11.2020 - Mıse À Jour : 21.11.2020
"La France recule en Afrique, Macron s'en prend à la Turquie et la Russie" (présidente de l'IVERIS)

France

AA / Paris / Ümit Dönmez

Interrogée par l'Agence Anadolu (AA), suite à l'entretien accordé vendredi par le Président français, au magazine « Jeune Afrique » et portant des accusations envers la Turquie et la Russie, la présidente de l'Institut de Veille et d'Étude des Relations Internationales et Stratégiques (IVERIS), Leslie Varenne, s'est dite stupéfaite par les déclarations du président français.

Faisant état d'une responsabilité, d'une inconscience mais également de l'hypocrisie de l'exécutif français concernant les développements en Afrique occidentale, Leslie Varenne a estimé que les déclarations récentes du Président Macron et du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian indiquent que "la France, après avoir perdu le Moyen-Orient, est en train de perdre pied en Afrique".

Responsabilités et hypocrisie de l'exécutif français dans la situation actuelle en Afrique de l'Ouest

Faisant d'abord état de sa stupéfaction face aux déclarations vendredi du Président français au magazine Jeune Afrique, Leslie Varenne, présidente de l'IVERIS a dénoncé l'hypocrisie de l'exécutif français ainsi que sa responsabilité dans la situation actuelle en Afrique de l'Ouest :Varenne a tenu à souligner le rôle historique de la France dans les "situations catastrophiques" de plusieurs pays de la région, notamment de la Côte d'Ivoire :

"La France a une responsabilité historique en Côte d'Ivoire", a estimé la chercheuse française notant que Paris "a installé par la force militaire, et au prix fort de 16 000 morts, avec les États-Unis et l'ONU, un soi-disant "démocrate" à la tête de la Côte d'Ivoire".

La Côte d'Ivoire est en proie à de violentes manifestations depuis l'annonce cette année par le président Alassane Ouattara de sa candidature pour un troisième mandat à l'élection présidentielle du 31 octobre, après une révision constitutionnelle fortement contestée. Les violences qui ont précédé et suivi l'élection ont fait au moins 85 morts et environ 500 blessés depuis août, selon un bilan officiel.

Le scrutin boycotté par l'opposition ayant appelé à la désobéissance civile, s'est soldé par une victoire controversée d'Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011 suite à une élection elle-même contestée et ayant mené à des violences généralisées dans le pays ainsi qu'à la mort de plusieurs milliers d'Ivoiriens.

"La justice ivoirienne a lancé des poursuites contre plusieurs leaders de l'opposition, dont certains sont emprisonnés suite à l'élection ; j'avais déjà prévenu l'année dernière des problèmes qu'allaient poser ces élections, et la situation a continué de se détériorer", note la Présidente de l'IVERIS faisant état d'une hypocrisie de l'exécutif français et citant notamment "les propos d'Emmanuel Macron et de Jean-Yves Le Drian qui disent que la Côte d'Ivoire est dans un processus démocratique alors même qu'il y a des manifestations et que le président devient candidat à un troisième mandat en changeant la constitution et en enfermant les opposants".

Dans un contexte similaire, le président guinéen sortant, Alpha Condé, a remporté un troisième mandat suite à une révision constitutionnelle fortement contestée par l'opposition et à l'élection présidentielle tenue en octobre, avec 59,49 % des voix, selon les résultats annoncés le 24 octobre par la Commission électorale, attribuant 33,5 % des voix à son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, qui s’était proclamé vainqueur avant la publication des résultats.

"Il y avait donc deux crises préélectorales, en incluant le referendum constitutionnel en Guinée ayant fait 90 morts", note la chercheuse française faisant état "maintenant de deux pays en crise post-électorale du fait de l'élection des deux présidents pour leurs troisièmes mandats respectifs après avoir changé la constitution et suite à la tenue d'élections n'ayant pas respecté les standards internationaux", note encore Varenne faisant état d'opposants emprisonnés, mais également de morts suspectes.

La France perd pied en Afrique, et Macron s'en prend à la Turquie et Russie

Estimant que l'entretien donné par le Président français au magazine Jeune Afrique, "n'est pas à la mesure de cette séquence historique" vécue en Afrique de l'Ouest, traversée par des crises politiques et sociales profondes, la présidente de l'IVERIS juge que les déclarations d'Emmanuel Macron sont le reflet du manque de cohérence et de sincérité d'une "politique de gribouille, une politique incohérente, mais aussi [d']un manque de diplomatie, ainsi qu'un manque de respect des citoyens africains, et de leur désir de démocratie".

Faisant référence à la déclaration du Président français notant que "L’Afrique a intérêt à construire les règles, les voies et les moyens pour avoir des rendez-vous démocratiques réguliers et transparents", la chercheuse française rappelle que "l'Afrique dispose déjà de toutes ces règles, notamment la Charte de l'Union Africaine (UA), les chartes et accords des institutions régionales, mais également les constitutions, à l'échelle des nations."

La Présidente de l'IVERIS estime, en outre, que l'exécutif français, notamment le Président Macron et le chef de la Diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, "contribue au bafouement du droit et de la démocratie" en Afrique.

Évoquant également la fin du Franc CFA dans l'entretien, le Président français a déclaré que "Cette réforme importante, conclue par un accord signé lors de mon dernier voyage en Côte d’Ivoire, met fin à un marqueur très symbolique qui alimentait beaucoup de fantasmes et de critiques".

Varenne note cependant "qu'on ne parle déjà plus de la fin du Franc CFA et de la réforme qui devait entrer en vigueur en 2020 qui a été mise de côté, repoussée de façon indéfinie par l'Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)", la chercheuse faisant état de l'incohérence du chef d'État français sur le dossier de la monnaie ouest-africaine.

Estimant que les déclarations du Président français au cours de cet entretien "font du tort aux intérêts français en Afrique", la présidente de l'IVERIS note que "pour les Africains, si on regarde de leurs points de vue, la France soutient leurs leaders contestés, et ça risque de déplaire".

Exprimant également sa déception face au contenu de l'entretien et des déclarations du Président français, la présidente du think tank européen évoque la maladresse de cet entretien jugé inopportun par son contenu "à un moment historique pour l'Afrique de l'Ouest alors que plusieurs pays traversent actuellement des crises politiques, économiques sociales et sécuritaires extrêmement profondes notamment en Guinée, Côte d'Ivoire, Mali, Burkina Faso, Niger et Nigeria.

Estimant que "le Président Macron ne peut plus dire que la France est une autorité morale en termes de démocratie", Varenne juge qu'"avec ce qui se passe en Guinée, en Côte d'Ivoire, et peut-être bientôt au Burkina Faso, la France a perdu le Moyen-orient, elle est en train de perdre pied en Afrique, et Macron s'en prend à la Turquie et Russie", estime Varenne, en référence aux déclarations d'Emmanuel Macron dénonçant la "stratégie" menée par la Russie et la Turquie qui chercheraient à alimenter un sentiment anti-français en Afrique en jouant "sur le ressentiment post-colonial".

"Il y a une stratégie à l'œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial", avait notamment déclaré le Président français.



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