Colloque sur la Palestine annulé : le Collège de France invoque la neutralité, les chercheurs dénoncent une censure
- Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche salue une « décision responsable », des chercheurs dénoncent une atteinte à la liberté académique
Istanbul
AA / Istanbul / Serap Dogansoy
Le Collège de France, institution d’enseignement supérieur et de recherche située dans le Ve arrondissement de Paris, a annoncé dimanche l’annulation d’un colloque intitulé « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », initialement prévu les 13 et 14 novembre à Paris, invoquant la nécessité de garantir « la sérénité des débats » et de préserver sa « stricte neutralité à l’égard des questions de nature politique ou idéologique ».
Dans un communiqué, l’établissement a expliqué que la décision avait été prise « en réaction à la polémique entourant la tenue de l’événement » et « face aux risques de débordements » susceptibles d’affecter la sécurité des personnes et des biens. L’administrateur du Collège, Thomas Römer, a précisé avoir agi en sa qualité de responsable de la sécurité et du bon déroulement des événements, après avoir proposé sans succès aux organisateurs de tenir le colloque à huis clos.
- Une controverse née dans la presse
Le colloque, coorganisé par l’historien Henry Laurens, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep Paris), devait réunir des chercheurs, diplomates et juristes pour discuter des relations entre la Palestine et l’Europe. Parmi les invités figuraient notamment l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens, Francesca Albanese, ainsi que l’ancien haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell.
La polémique a éclaté après la publication d’un article du Point le 7 novembre décrivant le colloque comme « propalestinien à haut risque ». Le Journal du dimanche a ensuite relevé la coïncidence de la date avec le dixième anniversaire des attentats du 13 novembre 2015, suggérant un choix symbolique, ce que les organisateurs ont démenti, précisant que la date avait été proposée par l’administration du Collège.
Face à l’ampleur de la controverse et aux réactions sur les réseaux sociaux, la direction du Collège a estimé que les conditions n’étaient plus réunies pour maintenir l’événement.
- Le ministre salue une « décision responsable »
Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a salué sur le réseau X (ancien Twitter) une « décision responsable d’une institution qui doit symboliser l’excellence du savoir et le pluralisme des idées ». Selon des informations publiées par Le Monde, le ministre avait adressé quelques jours plus tôt une lettre à l’administrateur du Collège, estimant que le programme du colloque présentait « un parti pris sur un sujet délicat et fortement polémique ».
L’entourage du ministre affirme qu’il s’agissait d’une « décision exclusive du Collège de France » et nie toute pression, tout en invoquant « des risques de troubles à l’ordre public ».
Cette version est contestée par plusieurs chercheurs et organisations. Dans un communiqué commun, le Carep et la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe ont estimé que l’annulation « crée un précédent dangereux » et constitue « une atteinte à la liberté académique ».
- Réactions du monde académique et de la société civile
L’annulation de l’événement a suscité une vague de réactions dans le monde académique et au sein de la société civile. Plusieurs universitaires ont dénoncé une atteinte à la liberté académique. Dans un communiqué commun, le Carep et la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe ont estimé que « sous couvert de garantir la scientificité, le ministre justifie une intervention politique dans le champ de la recherche », alertant sur « un précédent dangereux » et redoutant qu’à l’avenir « une polémique médiatique suffise à censurer tout colloque jugé sensible ».
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a également exprimé sa « consternation » face à cette décision, estimant qu’elle « interroge l’exercice de la liberté académique et la nécessaire diffusion auprès des citoyens du travail scientifique ». Dans un communiqué publié le 11 novembre, l’organisation a dénoncé « l’instrumentalisation de l’argument de la sécurité » et jugé préoccupante l’intervention du ministre Philippe Baptiste, qu’elle accuse d’avoir « porté un jugement sur le programme de l’événement ». La LDH rappelle que « le débat académique n’a pas vocation à être neutre » et appelle le Collège de France à être « exemplaire dans la protection du débat scientifique ».
Le mécontentement s’est également étendu à la communauté universitaire : près d’un millier de chercheurs, enseignants et étudiants ont signé une pétition appelant à la démission du ministre de l’Enseignement supérieur, dénonçant « la volonté délibérée d’empêcher la recherche académique sur Israël-Palestine dès lors qu’elle contrevient à certains cadres intellectuels ».
L’association France Universités, qui regroupe les présidents d’établissements d’enseignement supérieur, a pour sa part exprimé sa « vive inquiétude » face à une décision jugée « sans précédent depuis plus d’un siècle » et susceptible de fragiliser le principe de liberté académique.
