Cheikh druze libanais : l’accord à Suweyda ne réussira pas sans soutien arabe et turc

- « Le dialogue est la seule voie pour empêcher que Suweyda et la Syrie ne sombrent davantage dans la violence et la division »

AA/Beyrouth/ Wassim Samih Seifeddine

Sami Abou Al-Mona, cheikh Aql de la communauté druze au Liban, a lancé un appel à une intervention arabe et de la Türkiye urgente afin de mettre fin aux affrontements armés qui secouent depuis dimanche la province de Suweyda, dans le sud de la Syrie.

Dans une interview accordée vendredi à Anadolu, Abou Al-Mona a réagi aux affrontements sanglants opposant des groupes druzes à des tribus bédouines, auxquels l’armée syrienne a fini par intervenir pour tenter de rétablir l’ordre.

Son appel intervient au lendemain de l’annonce par la présidence syrienne d’un accord prévoyant le retrait des troupes de Suweyda, dans le cadre d’une médiation conjointe arabo-américaine. Malgré cela, les combats se poursuivent.

Profitant du prétexte de la « protection des Druzes », Israël a intensifié ses attaques contre la Syrie, lançant mercredi des frappes aériennes massives sur quatre provinces, dont Damas, où ont été visés le quartier général de l’état-major et les abords du palais présidentiel.

Un cessez-le-feu avait été annoncé mercredi soir, apaisant brièvement les tensions. Mais des éléments « hors-la-loi » ont attaqué des tribus bédouines, faisant voler en éclats l’accord.

Un soutien arabe et turque

« Le dialogue est la seule voie pour empêcher que Suweyda et la Syrie ne sombrent davantage dans la violence et la division », a déclaré Abou Al-Mona, soulignant qu’aucun accord local ne pourra être durable sans un soutien clair des pays arabes et de la Türkiye.

Selon lui, l’accord conclu dans la nuit de jeudi à vendredi était prometteur, mais sa mise en œuvre exige un parrainage régional fort, en raison de la méfiance persistante entre l’État syrien et les groupes locaux, notamment les factions druzes armées.

Il a également mis en garde contre les répercussions de la crise sur le Liban, soulignant que « certains cherchent à importer la discorde » dans son pays en attisant les tensions communautaires.

Déplorant la situation en Syrie, qu’il qualifie de « choquante et inquiétante », le dignitaire religieux a exprimé sa crainte pour l’unité du pays et pour l’avenir d’un État moderne, auquel il continue à croire.

- Israël, principal instigateur

Abou Al-Mona a pointé du doigt Israël, qu’il accuse d’être le premier bénéficiaire du chaos à Suweyda. Tel-Aviv chercherait, selon lui, à semer la division, à fragiliser le tissu social syrien et à pousser certaines communautés à solliciter sa protection.

Il a qualifié la situation actuelle de « projet israélien pur » ne reflétant en rien la volonté des membres de la communauté druze.

Il a aussi souligné qu’Israël est le principal acteur de l’escalade à Suweyda, dans le but de servir ses intérêts expansionnistes et d’encourager certaines communautés à réclamer sa protection, sous prétexte de menaces et de dangers.

Et d’ajouter : « Pour faire face à cela, il faut faire preuve de vigilance, privilégier la voix de la raison et de la sagesse, et organiser un dialogue syrien interne qui n’a pas encore eu lieu au niveau requis. »

- Appel à la Türkiye

Le chef spirituel des Druzes libanais a invité la Türkiye à jouer un rôle actif dans la facilitation du dialogue intersyrien, en garantissant l’inclusion de toutes les composantes et en restaurant la confiance dans le processus politique.

« Les Druzes ont payé un lourd tribut au cours des 14 années de révolution en Syrie », a-t-il rappelé, « et il est légitime qu’ils participent pleinement à l’édification de la nouvelle Syrie ».

Il a souligné que la poursuite des affrontements à Suweyda risque de fragmenter la Syrie, une dérive rejetée fermement par les autorités religieuses druzes, rappelant la vision du chef historique Sultan Pacha al-Atrache, qui, en 1925, prônait une Syrie unie, inclusive, et refusait toute logique de repli communautaire.

« Sultan Pacha a voulu une Syrie de tous les citoyens, en appelant sa région ‘Jabal al-Arab’ (Montagne des Arabes) et non ‘Montagne des Druzes’ », a-t-il insisté.

Abou Al-Mona a conclu en affirmant que les cheikhs Aql en Syrie souhaitent, eux aussi, une Syrie unie, fidèle à l’esprit de Sultan Pacha al-Atrache.

Les Druzes représentent environ 800 000 personnes en Syrie, sur une population totale estimée à 22 millions. Ils sont concentrés principalement dans les gouvernorats de Suweyda, Rif Damas, Quneitra (sud) et Idleb (nord).

La présidence spirituelle de la communauté druze constitue la plus haute autorité religieuse druze en Syrie. Trois cheikhs Aql y exercent actuellement, avec parfois des divergences : Hikmat Al-Hijri, Hammoud Al-Hannawi et Youssef Al-Jarbouh.

La plupart des dignitaires druzes en Syrie ont toutefois affirmé leur opposition à toute intervention étrangère et leur attachement à l’unité du pays, rejetant fermement tout projet de division.