Türkİye, Culture et Arts

Le parcours atypique du nouvel imam de la mosquée Sainte-Sophie

Beaucoup moins médiatique que son prédécesseur, mais tout aussi populaire, Emin Kir force le respect

Fatma Bendhaou  | 07.05.2021 - Mıse À Jour : 08.05.2021
Le parcours atypique du nouvel imam de la mosquée Sainte-Sophie

France


AA/Paris/Fatih KARAKAYA

Après la démission de l’imam de la Mosquée Sainte-Sophie, le mois dernier, Emin Kir a été désigné en tant que nouvel imam de cet édifice redevenu mosquée après être resté un musée pendant 86 ans.

En effet, après la réouverture de l'édifice en tant que mosquée le 24 juillet 2020, Mehmet Boynukalin avait rempli le rôle du premier imam. Ce théologien très actif sur les réseaux sociaux avait suscité de nombreuses polémiques sur des sujets touchant à la pratique de l’islam en Turquie. Ayant de nombreux adeptes mais aussi des ennemis, il a fini par retourner à l’université en tant que professeur pour apaiser les tensions.

Rapidement, un nouvel imam a été désigné dans la mosquée Sainte-Sophie, symbole de la conquête d’Istanbul. Beaucoup moins médiatique, mais tout aussi populaire, Emin Kir force le respect et son parcours mérite la reconnaissance.

L’imam, ami des drogués

C’est en 2006 que tout commence pour cet imam. En effet, durant l’année 2006, il prend ses fonctions dans la petite mosquée Kaab, dans le quartier Balat à Eyup Sultan. Ce district d’Istanbul est connu par sa mosquée qui porte le même nom qu’un compagnon du prophète Mohamed. En effet, selon une citation (hadith) du prophète Mohamed "Istanbul sera inévitablement conquise. Quel beau commandant que celui qui la conquerra, quelle belle armée". Ayant entendu le message du prophète, Eyyup El-Ensari décide, à 90 ans, d’aller à la conquête d’Istanbul.

Malheureusement pour lui, ce rêve ne se concrétisera pas et il décèdera à Constantinople. Plus tard, lorsque Mehmet II conquiert Istanbul, il fera construire une mosquée à son nom, et le quartier deviendra Eyyup Sultan. Chaque année, des millions de visiteurs arrivent du monde entier pour rendre hommage à ce saint de l’islam.

Mais contrairement à la réputation d’une ville sainte, le quartier de Balat ne jouit pas de la même effervescence. Au contraire, ce quartier regroupe des dealers, des drogués et la pauvreté fait ravage.

Lorsqu’en 2006, l’imam Emir Kir arrive, il ne s’attendait pas à changer le destin de tout un quartier. La mosquée Kaab est un petit lieu de culte qui a très peu de fidèles. Dès les premiers jours de sa prise de fonction, l’imam est interpellé par des drogués qui lui réclamaient de l’argent.

Peut-être par peur mais surtout par compassion, l’imam donne un peu de sous à ces « parasites de la société ». En effet, il faut reconnaître que les citoyens ont peur de ces marginaux et changent de trottoir quand ils les croisent dans la rue.

Mais l’imam, lui, ne s’enfuit pas, ne les renvoie pas.

Invitation à la soupe

Après leur avoir donné de l'argent pendant quelques jours, l’imam leur explique qu’il n’a pas les moyens de leur en donner plus mais qu’il pourrait leur offrir de la soupe le matin.

Dans la culture turque, il est très fréquent de boire de la soupe au petit-déjeuner et souvent des mosquées en offrent après la prière de l’aube.

Pour perpétuer cette tradition, l’imam propose aux drogués de venir le matin pour souper. En revanche, il pose comme condition que ces « dépendants » ne se droguent pas aux alentours de la mosquée.

Souvent sans domicile fixe, ces marginaux acceptent et viennent chaque matin prendre de la soupe préparée à la maison par l’imam lui-même. Il leur permet même de dormir dans la mosquée et de prendre une douche.

Rapidement, le nombre de convives augmente chaque jour et des dizaines de SDF viennent se nourrir chez l’imam qui, non seulement ne les juge pas, mais leur offre en plus de quoi se nourrir. D’ailleurs, des amitiés se nouent avec certains d’entre eux et l’imam réussit même à les réconcilier avec leurs familles afin de les aider à « être clean ».

Voyant le succès de l’imam, la direction des affaires religieuses décide de construire une grande cuisine et un réfectoire près de la mosquée pour pérenniser l’action sociale.

Aujourd’hui, le destin de ce quartier a considérablement changé. Il y a beaucoup moins de drogués et l’imam continuait d’aider les plus démunis jusqu'à sa nomination à un des postes le plus prestigieux de Turquie.

Avec cette nomination, le gouvernement a voulu mettre l’accent sur une personne qui fait consensus plutôt que d’alimenter des polémiques inutiles. En somme, même si l’imam Kir n’est pas très médiatique, sa popularité va sûrement être remarquée dans sa nouvelle mosquée.

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