Politique, Analyse

Entre corruption et décadence socio-économique: La Tunisie espérait mieux de ses hautes instances (I)

-Après l'euphorie du 14 janvier 2011, le pays se trouve affronté à une crise économique et sociale sans précédent. Pourtant, elle pouvait compter sur des instances susceptibles d'amortir certains chocs.

Slah Grichi  | 26.11.2020 - Mıse À Jour : 28.11.2020
Entre corruption et décadence socio-économique: La Tunisie espérait mieux de ses hautes instances (I) TUNIS, TUNISIA ( Yassine Gaidi - Anadolu Agency )

Tunis

AA/Tunis/Slah Grichi

La Tunisie a connu en 1986-87, une crise économique plus qu'étranglante. Les caisses de l'État étaient vides, les réserves en devises à plat, mais l'endettement extérieur, mineur, n'hypothéquait pas le pays -avec ses moyennes richesses- et la stabilité politique et, somme toute, sécuritaire ne rebutait les les investisseurs, aussi bien étrangers que autochtones. Loin de là... La sortie du goulot allait vite s'opérer, permettant -entre autres facteurs- à Ben Ali de faire passer la pilule de son coup d'Etat blanc du 7 novembre 1987, contre Bourguiba qu'on croyait inamovible.

Certes, malgré des éclaircies de permissivité condescendante, le contrôle du Palais de Carthage sur le législatif et sur une bonne partie du judiciaire était quasi-total, les libertés limitées à leur strict minimum et l'opposition à peine tolérée, et encore si elle ne présentait pas des velléités de transition. Le pays offrait quand même l'image d'une structure paisible, aux rouages socio-économiques qui fonctionnaient.

Cette situation dont la majorité des Tunisiens s'accommodaient bien, n'allait pas durer longtemps. Ben Ali, virant vers un totalitarisme absolu, en dépit de gestes et de décisions de mansuétude d'apparat, muselait de plus en plus, d'une main de fer hantée de velours, les voix discordantes, négligeait des régions reculé, comme celles du brûlant centre et sud-ouest, manifestait son désir de pérenniser l'hégémonie de son parti (le Rassemblement constitutionnel démocrate) et de rester, sinon à vie, du moins le maximum, au pouvoir, aidé en cela par un Parlement acquis et rapide à la détente quand il s'agit de faire sienne l'idée d'un amendement, dans ce sens, de la Constitution et de son adadoption.

Quant aux élections, personne ne doutait de leur issue ni ne se laissait duper par le maquillage, par les décors et par la mise en scène qui les entouraient, avec des prétendants, des campagnes, des urnes dans les règles et un comptage soit disant transparent.

Il avait, également et surtout, fermé l'oeil sur les abus de tout genre, l'enrichissement illicite et sur les affaires de contrebande et de corruption dont des proches, des cendres et des membres de son entourage et de ses belles familles se rendaient coupables. Les contestataires qui dénonçaient cet état de fait, étaient muselés soit par les menaces qui pouvaient monter jusqu'à des inculpations fabriquées, soit par l'appât ou décriés comme des pêcheurs en eaux troubles, quand on jugeait inutile d'offusquer l'opinion publique, locale ou internationale.

Les subterfuges étaient faciles à trouver et les entourloupettes aisées, en l'absence d'institutions ou d'instances indépendantes crédibles, mandatées pour combattre l'arbitraire et les tentations du pouvoir absolu, en tranchant sur la constitutionnalité des lois et des amendements, en supervisant les élections et leur déroulement dans la légalité, en traquant les affaires mafieuses et de corruption. Et c'est peut être cette absence de garde-fous qui a indirectement poussé Ben Ali dans la dérive, le sentiment de pouvoir décider de tout et d'être au-dessus et au-delà de tout, jusqu'à avoir embrasé le pays, contribuant ainsi à la préparation de sa mise à l'écart et son exil, un certain 14 janvier 2011...

Changement de décor

Dix ans après, la Tunisie est munie d'une nouvelle Constitution qui garantit toutes les libertés, d'un système politique qui consacre la pluralité politique, d'institutions et de hautes instances indépendantes qui interviennent dans tous les domaines, même si la Cour constitutionnelle tarde à voir le jour, les partis représentés au Parlement n'arrivant pas, depuis belle lurette, à s'entendre sur sa composition. Tous ces acquis ont été réalisés en un temps relativement court, sitôt Ben Ali parti. Ce décor nouveau, cité au début et jusqu'au milieu de cette décade qui prendra bientôt fin, en exemple partout dans le monde, n'arrive plus à cacher un tableau de désenchantement général dû à une dislocation d'un État qui semble avoir perdu ses repères et qui n'arrive plus à contrôler la situation, tant au niveau politique, que socio-économique.

Alors qu'on assiste à une guerre à couteaux tirés entre des députés et des formations politiques dans un Parlement fragmenté et où des alliances et des coalitions, souvent, "contre nature" se forment par intérêt ou pour survivre, des affaires de corruption à tous les niveaux, y compris judiciaire, sont étalées au grand jour, le taux de chômage, accentué par le Coronavirus, est monté, selon les chiffres officiels, à plus de 15%, la dette publique à 75% du Produit intérieur brut (PIB) et même à plus de 100% si l'on y ajoute les garanties de l'État accordées aux entreprises publiques.

Entre-temps, les jeunes courent aux "death boats" (embarcations de la mort) et des milliers de compétences confirmées et aux C.V. impressionnants dont la formation a lourdement coûté la Tunisie (ingénieurs, informaticiens, médecins généralistes, spécialistes, profs de médecine, économistes...) choisissent d'émigrer et d'accepter des rétributions au rabais, par rapport à celles pratiquées dans leurs terres d'accueil, parce que nombreux parmi eux jugent la situation intenable dans leur pays. Et quand on y ajoute les revendications, légitimes ou de chantage et au bras-de-fer, les sit-in, les grèves, les blocages des routes et des sites de production de phosphate ou de pétrole, auxquels le fragile gouvernement ne peut faire face que par des concessions ou des promesses, avec de l'argent qu'il n'a pas, puisqu'il n'arrive même pas à dégager un budget complémentaire pour l'année 2020, on voit mal comment la Tunisie pourrait sortir de la crise.

Les hautes instances sur la sellette

Et comme si tout avait été coordonné pour que rien n'arrive seul, dernièrement, plusieurs pavés ont été successivement jetés dans la mare. Cela a commencé par le surnommé Monsieur propre, Mohamed Abbou, ancien ministre d'Etat du gouvernement Fakhfakh, chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de Lutte contre la corruption qui a instruit un dossier de soupçons de conflit d'intérêts impliquant son propre chef, ce qui a entraîné la désignation d'un nouveau gouvernement. Il a également voulu effectuer un contrôle-audit sur l'Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) du temps de Chawki Tabib, ce que ce dernier a refusé (voir nos prochaines interviews).

L'Instance de vérité et de dignité (IVD) qui a provoqué beaucoup de polémiques, souvent pour l'intransigeance de sa présidente, Sihem Ben Sedrine, a elle aussi été la cible de feu ami, puisque le président d'Ennahdha qu'on disait son principal soutien, vient de lui reprocher des excès et un manque de discernement.

Dans ce flot, l'ISIE (Instance supérieure indépendante des élections) n'a pas été épargnée, dans la mesure où la Cour des comptes vient de rendre public son rapport sur les élections de 2019, où elle établit que cette instance aurait fermé l'oeil sur des dépassements et des irrégularités flagrantes, ce à quoi Nabil Baffoun, le président de l'ISIE, à réagi en disant en prendre acte.

Avec ces critiques, voire accusations, et une corruption galopante et touchant toutes les sphères, est-ce que ces instances, destinées à combattre la corruption, à rétablir la vérité et à veiller sur la transparence et la propreté des échéances électorales, ont-elles failli à leurs missions respectives? Pourquoi provoquent-elles autant de remous?

Sont-elles indispensables, quel est leur apport et ont-elles nui ou apporté un plus au pays?

Pour dégager des éléments de réponses, Anadolu a donné la parole à Chawki Tabib, Sihem Ben Sedrine, Mohamed Abbou et à Nabil Baffoun dont nous publierons, successivement, les interviews.

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