Analyse, Afrique

Ces présidents africains qui veulent rester au pouvoir

- Faute de perspectives ou par "peur d'avoir à payer leurs crimes commis avec l'immunité acquise grâce à leurs fonctions".

Lassaad Ben Ahmed  | 03.12.2019 - Mıse À Jour : 03.12.2019
Ces présidents africains qui veulent rester au pouvoir

Congo, The Democratic Republic of the

AA / Pascal Mulegwa

La présidence à vie… une notion avec laquelle la terre d’Afrique a appris à composer depuis des décennies. Depuis l’accession à l’indépendance, nombre de pays africains n’ont pas connu de réelle alternance à la tête de l’Etat. Des générations d’Africains sont nées, ont vécu et ont même quitté ce monde, sous la présidence d’un seul homme.

L’exemple le plus marquant est celui de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée équatoriale depuis 1979 ou encore celui de Paul Biya, président du Cameroun depuis 1982.

Certains présidents africains ont cherché à s’accrocher au pouvoir, parfois par la force des armes. D’autres se sont abstenus d’organiser des élections sous différents prétextes, économique, sécuritaire ou sanitaire, pour éviter une passation pacifique du pouvoir à un successeur.

D’autres encore, pour donner le change à une communauté internationale de plus en plus exigeante en termes de démocratie et de respect de la légalité, ont eu recours à ce que l’on appelle communément « des tripatouillages constitutionnels ».

Au grand dam des sociétés civiles et des diverses oppositions, de nombreuses tentatives de prolongation de mandat ont été tentées… Certaines ont réussi, d’autres se sont heurtées à la volonté de peuples sortis, au fil des générations, du fatalisme qui caractérisait leur rapport à la chose politique.

-Les raison d’une avidité du pouvoir

Selon Jacques Djoli, professeur de droit constitutionnel à l’université de Kinshasa, ce phénomène récurrent en terre d’Afrique s’explique par une certaine crainte « de poursuites après leurs règnes, ponctués de crimes financiers et de guerres».

C’est le cas par exemple de Joseph Kabila, président de la République Démocratique du Congo (RDC).

Désigné à la tête du pouvoir à la suite de l’assassinat de son père, Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001, Joseph Kabila a été élu à la fin de la deuxième guerre du Congo (1998 à 2002) pour un premier mandat (2006-2011), puis réélu pour un second quinquennat en 2011.

La Constitution lui interdisant de se représenter en 2016, Joseph Kabila a ajourné à plusieurs reprises le scrutin présidentiel, profitant d’une clause dans la Constitution lui permettant de rester président jusqu’à l’élection d’un successeur.

Après de longues « tergiversations constitutionnelles », il a fini par renoncer au pouvoir, début 2019, au profit de son principal opposant Félix Tshisekedi.

Pour Djoli « rester au pouvoir ne répond nullement à un appât du gain », dans le cas de Kabila, le président congolais n’a cédé le pouvoir qu’après «avoir obtenu des garanties de la part de son successeur », Felix Tshisekedi.

Pour le professeur de l’université de Kinshasa, « les constitutions africaines devraient encourager les présidents à envier la vie hors palais ; en plus de donner des garanties de sécurité et d’immunité».

A défaut d'un tel compromis, "la plupart d'anciens présidents africains s'exilent par peur d'avoir à payer leurs crimes commis avec l'immunité acquise grâce à leurs fonctions", comme l'a expliqué Chindji Kouleu, sociologue camerounais et enseignant universitaire de journalisme dans son livre "Peut-on juger les chefs d'Etat africains?".

-Manœuvres législatives

Non loin de la RDC, au Burundi, la violation de la Constitution était encore plus explicite avec le cas du « Guide suprême éternel », Pierre Nkurunzinza (54 ans) qui a réussi à briguer un troisième mandat en 2015 en violation de la Constitution.

Elu en 2005, réélu en 2010, puis en 2015, Nkurunzinza a fait modifier la Constitution en mai 2018. Le mandat présidentiel dans son pays passe de cinq à sept ans et le verrou de la limite est fixé à deux mandats.

Ce nouvel amendement remet son compteur à zéro, ce qui lui permettrait de rester au pouvoir jusqu'en 2034.

Ainsi faisant, Nkurunziza a insufflé une piste intéressante aux dirigeants voulant rester au pouvoir, soit de modifier la Constitution.

Plus récemment, Alpha Condé, 81 ans, président de la Guinée-Conakry, a annoncé la tenue d’un référendum pour modifier la Constitution, de sorte à ce qu’il puisse rester au pouvoir. C’était à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies, fin septembre dernier.

La Guinée avait pourtant commencé à se doter de traditions démocratiques.

En effet, Alpha Condé, alors opposant historique, fut le premier président Guinéen démocratiquement élu, en 2010, puis réélu en 2015, après des décennies de régimes autoritaires et militaires.

Et la rue n'a pas manqué de réagir à ces déclarations.

C’est, au fait, souvent le cas. Faute d’alternance pacifique, il n’est pas rare que les populations se soulèvent en Afrique, générant souvent des morts et des blessés, sans compter le manque à gagner économique et social, dus à l'instabilité.

Contre ce genre de manœuvres, mettant en péril les progrès démocratiques sur le continent, Barack Obama avait tenu un discours virulent, en 2015 lors d’un déplacement en Ethiopie en tant que président des Etats-Unis.

À la tribune de l’Union africaine à Addis-Abeba, devant une assemblée acquise, Barack Obama avait déclaré "Quand un dirigeant essaie de changer les règles au milieu de la partie, simplement pour rester en poste, il s'expose à l'instabilité et à la discorde, comme nous l'avons vu au Burundi".

Le cas du Zambien Edgard Lungu (62 ans) est encore plus éloquent. Aux opposants qui lui rappellent qu'il a déjà «épuisé» ses deux mandats, Lungu insiste qu’il n’en a brigué qu’un seul.

Pour l’opposition, Lungu, qui a été « désigné » au sein du Cabinet du parti présidentiel, après le décès du président Michel Sata en 2014, n’a été élu qu’en 2015 par son parti pour porter à terme le mandat de son prédécesseur.

C’est au terme de la période transitoire, en 2016, qu’il est « réélu », au suffrage universel cette fois-ci, pour cinq ans. L’opposition estime que le Président ne peut pas se présenter en 2021, au risque de violer la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats.

Mais les partisans du Président affirment que le mandat transitoire ne peut être comptabilisé comme mandat de plein exercice, puisqu'il n'a pas eu la durée d'un mandat normal. Son intention de se présenter à ce qu’il considère comme son « second mandat», son « troisième» selon l'opposition, reste d’actualité.

-De l’ingérence des grandes puissances

Pour parer à cette avidité du pouvoir, différentes juridictions dont l’Union africaine et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao) ont instauré une directive limitant le nombre de mandats à deux.

Mais pour le géopoliticien Timothée Lwanga, professeur à l’université du Congo, « ni les puissances occidentales, ni l’Union africaine, moins encore les organisations sous–régionales, ne sont parvenues à éradiquer la tendance des troisièmes mandats sur le continent ».

«La seule arme qui a fait preuve d’efficacité est la mobilisation des sociétés civiles », soutient–il, affirmant que « certaines sociétés africaines se sont accommodées à la longévité de leurs présidents».

Au Tchad, et à la faveur du référendum de 2005, la limitation à deux quinquennats présidentiels a été supprimée, permettant à Idriss Deby Itno (67 ans) de diriger le pays pour un cinquième mandat consécutif.
Arrivé au pouvoir en 1990, il a été élu en 2006 grâce à l’amendement de la Constitution, qui lui a permis de se faire réélire en 2011 et en 2016.

Le 25 juin 2017, Idriss Deby a accordé un entretien à TV5, où il a rappelé un autre facteur essentiel en termes de politique africaine : l’ingérence de la France !

Lors d’une envolée aussi rare que virulente, le président tchadien s’en est pris à ses détracteurs de l’ancienne métropole, déclarant : «J’aurais souhaité me retirer en 2002, comme je l’avais promis… Ce qui revient à dire que j’aurais cédé le pouvoir en 2006, il y a de cela 10 ans. Or la guerre a éclaté, et des mercenaires sont même arrivés jusqu’à menacer la capitale, le pays était en guerre ».

« Et comme en politique africaine, la France intervient souvent, elle est intervenue pour me demander de changer la Constitution, je dis cela pour l’histoire ! J’ai refusé, et je n’ai pas fait campagne, et pourtant, ils sont passés par leurs arcanes, et ils ont changé la Constitution, ce n’est pas Deby qui a changé la Constitution. J’avais donné ma parole de soldat que je quitterai le pouvoir en 2006, et deux choses sont intervenues : la guerre d’abord, et ensuite la France, qui m’a demandé de rester au pouvoir… Et maintenant, ce sont ceux qui ont changé la Constitution qui me critiquent».

Dans ce même registre, la France est même intervenue militairement pour maintenir au pouvoir « ses présidents », à l’exemple d’Alassane Ouattara en 2011 en Côte d'Ivoire.

-La force de la Rue

L’Afrique a également connu des tentatives avortées de troisième mandat.

En Zambie, Frederick Jacob Titus Chiluba, héros du Mouvement pour la démocratie multipartite (MMD) avait renoncé à briguer un troisième mandat, en 2001, sous pression de la rue. Evincé en 2002, il avait été poursuivi pour corruption et détournements de fonds publics.

Le cas du Burkina Faso est le plus connu et indicatif. La volonté de Blaise Compaoré de faire réviser la Constitution, afin de pouvoir briguer un nouveau mandat, après plus de 27 ans au pouvoir, avait provoqué une insurrection massive. Le président a été contraint à l'exil, fin octobre 2014.

Cela étant, s’agissant de l’exercice du pouvoir, il existe certaines exceptions en Afrique, qui ont connu une alternance pacifique à la tête pays.

En Tunisie, par exemple, au cours des 5 dernières années, le pouvoir est, par deux fois, passé de main en main de façon pacifique.

En 2014, en effet, le président Mohamed Moncef Marzouki a passé le flambeau à son successeur, feu Beji Caïd Essebsi, qui l’avait battu lors du scrutin présidentiel qui s’était tenu la même année.

Le président Caïd Essebsi, disparu en juillet 2019, c’est à son suppléant par intérim, Mohamed Ennaceur (président du parlement sortant) qu’est revenue la tâche de remettre le pouvoir entre les mains du président, Kaïs Saïed, élu le 13 octobre 2019 et entré en fonction le 23 du même mois.

Le pays marque ainsi une transition démocratique appréciée à l’international, après le règne de Bourguiba pendant plus de 30 ans et de Ben Ali pendant 23 ans.

Les présidents sénégalais et nigérien en exercice, ont quant à eux annoncé qu’ils ne se porteront pas candidats aux prochaines élections.

Pour le président sénégalais, la clause selon laquelle nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs a « pour but de clore le débat sur la limitation du nombre de mandats ».

« Si réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5 (….). Il faudra partir», a déclaré Macky Sall.

Idem pour Mahamadou Issoufou. Arrivé au pouvoir par les urnes en 2011, puis réélu en 2016 pour un second mandat de cinq ans, le président en exercice du Niger a assuré qu’il ne modifiera pas la Constitution du pays pour briguer un troisième mandat.

« Je n’ai pas d’hésitation par rapport à ça. Je suis un démocrate convaincu. Je ne veux pas procéder aux triturations que l’on a coutume de voir en Afrique », s’est-il démarqué à l'occasion du premier anniversaire de son investiture pour un second mandat.

Que deviendrait-il après ? Il ne l’a pas dévoilé. Aucun autre président africain n’en a la certitude.

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